En cette période de belle agitation politique où la France manque sérieusement de pointures à la Talleyrand ou à la Montesquieu, il est quand même significatif de noter à quel point les bouleversements en cours ont pris de surprise tous les analystes de tout bord.
S'il s'avère à peu près juste de dire que la masse de jeunes générations plus éduquées (et malheureusement faisant chou blanc à la recherche d'emploi), est à l'origine de tout cela avec la misère de revenus minuscules ne pouvant plus assurer le quotidien, on ne peut pas ne pas évoquer le rôle essentiel des nouveaux modes de communication via le web, facebook et autres outils disponibles sur n'importe quel téléphone portable.
Le monde change…
LECTURE
Si vous avez accès aux derniers n° du quotidien Le Monde, dans le supplément "Le Monde des Livres" du vendredi 25 février, vous pourrez lire un article très intéressant de Pierre Assouline, intitulé "Critique de la Critique" qui est totalement transposable au monde de la critique "vins".
Quelques extraits (© Pierre Assouline) :
• En ligne, n'importe qui est critique littéraire en ne s'autorisant que de soi-même; la prescription des livres s'est donc diluée dans la vaste Toile, partagée entre des milliers d'internautes qui sapent ainsi l'autorité de ceux qui faisaient autrefois la pluie et le beau temps dans les librairies.
Facile de changer le mot "livre" en "vin" et d'acquiescer à ce point de vue.
• On n'attend pas de lui [le critique] un "j'aime/j'aime pas" tel qu'il fait florès sur la Toile, mais une analyse de texte argumentée qui sache séparer un livre du bruit qu'il fait et ignore l'image sociale de l'écrivain.
Au vrai, on attend beaucoup de lui [le critique], et cette exigence est encourageante. Qu'il ne participe pas à la promotion tout en se faisant l'écho de l'actualité de la librairie (un grand écart). Qu'il s'engage dans un parti pris à condition de le justifier. Qu'il fasse découvrir et rêver. Qu'il informe en hiérarchisant. Qu'il ait autant de mémoire et de curiosité que de générosité. Qu'il étonne, bouscule, inquiète, émeuve. Qu'il mette un livre en perspective et le contextualise. "Indépendant" est le mot qui revient le plus souvent sous la plume des lecteurs.
Nos lecteurs auront compris à quel point cela sonne juste et reste totalement approprié à la critique vineuse. Tu vois Michel, il y a encore de très beaux jours devant toi :-), quand bien même tu devras nous morigéner quand on alignera bêtement les simplissimes "j'aime/j'aime pas" !
REFLEXIONS NEUROTIQUES
Lors de notre dîner avec Etienne Klein à l'Albert 1er (Chamonix) fut évoqué un livre majeur sur quelques spécificités de l'Occident qui se résument dans les premières lignes de la quatrième de couverture :
"Pourquoi la Grèce antique, puis l'Europe moderne ont-elles été les matrices de deux "miracles" scientifiques et culturels sans équivalent dans le monde ? A quelles criconstances, à quelles qualités spécifiques l'Occident doit-il d'être l'"inventeur" de la modernité ? "
David Cosandey : Le secret de l'Occident (Flammarion, € 15, collection Champs essais)
Je commence seulement à lire les 837 pages de cet ouvrage qui semble majeur dans cette approche des spécificités occidentales, en me rappelant l'image forte qui semble "tenir" les démonstrations de l'auteur, telle que nous l'a expliqué sommairement Etienne Klein : "L'Occident est la partie du monde où le rapport entre la longueur de ses côtes et sa surface est le plus important". Cette notion de "fractale" (trouvé par le français Benoît Mandelbrot) est à rapprocher de l'argumentaire de Jacques Attali sur le rôle fondamental des ports dans le développement européen.
Dans ces deux théories, on nous explique finalement que certaines conditions géographiques ont poussé l'homme aux échanges et que ce sont ces échanges qui sont à la source des développements. Bref : mieux vaut être européen qu'australien. J'avoue, c'est brutal, très proche connerie premier niveau :-). Ça n'engage que moi, pas de dérapage, svp !
VIN & GASTRONOMIE
Mike Steinberger, journaliste "vins & gastronomie" aux USA, notamment sur SLATE, vient d'ouvrir enfin son propre blog (ICI). Depuis quelques années, il travaillait sur un livre traitant grosso modo du déclin de la cuisine française et ne savait pas trop sur quel pied danser (comme beaucoup d'américains en l'espèce) entre amour et haine, entre défense et attaque.
Chez Fayard : La Cuisine française, un chef d'oeuvre en péril
Sur son blog, il évoque ses récentes dégustations de Bourgogne, particulièrement les délicats 2008. On est tellement aux antipodes des modes encore "actives" préférant "puissance" et "richesse" à "complexité" et "délicatesse". Sur ce plan, Mike se distingue sensiblement de Parker…
… à rapprocher d'une sérieuse étude sur les mots utilisés par Parker pour tous les vins auxquels il a accordé 100/100. Si le mot "richesse" vient largement en tête, ce n'est nullement le cas de mots comme "finesse" ou "élégance". Avec une surprise de taille : la longueur en bouche, un critère fondamental qu'on associe ici à la classe d'un terroir, est pratiquement absente de ces commentaires des 100/100.
Référence de cette étude (merci à un mien ami qui sait tout !) : ICI . C'est remarquable. Pour les amateurs de stats et de précisions. BLG va adorer s'il ne connaît pas.
Mais bon : on sait à quel point Robert Parker restera l'homme du bordeaux et du châteauneuf-du-pape et non l'homme du Musigny ou de La Tâche. Dans ses 100/100, je n'ose même évoquer ici à combien de bourgognes ce chiffre mythique (?) a été attribué. Oublions.
L'opus de Mike Steinberger
PRIMEURS : SOYONS ESPIEGLE !
Les "primeurs" approchent. Chers lecteurs, voici les (faux) scoops de l'année :
a : il n'y aura aucun premier avec une note inférieure à 95 points, quelque soit le critique qui note le vin
b : il y aura les classiques "super-seconds" qui seront renouvelés dans ce rang prestigieux. Là encore, note plus basse éventuelle : 94
c : Monsieur Tesseron restera au sommet
d : Palmer sera, de la tête et des épaules, le meilleur des troisièmes
e : il y aura toujours certains critiques qui feront la moue (discrète) sur Mouton
f : il y aura le GJE qui s'étonnera toujours de l'assurance avec laquelle cette presse qui vient à Bordeaux une fois l'an, est capable de donner des notes, des fourchettes de points dont tout le monde se moque*, (celles de Parker restant les seules qui puissent bouger le marché et qui retiennent les attentions des négociants) alors même qu'on reproche au GJE d'oser déguster des vins enfin élevés, en bouteilles, dans ces jeunes années sous prétexte qu'il n'est pas possible de donner un juste point de vue à ces babies ! Bref, on est fier de noter des foetus, mais une fois l'enfant né, streng verboten pour le GJE de donner une opinion !
Charles ! Tu nous manques !
* : restons calme : certes, bien des amateurs et producteurs liront les notes de Bettane, Quarin, Perrin, Burtschy et autres Decanter. Mais cela restera au niveau d'une simple lecture, plus ou moins attentive, les décisions importantes d'achat (donc niveau de prix) se basant uniquement sur l'homme de Monkton.
Il n'est que temps de pousser le Négoce à reprendre sa totale indépendance. C'est une tâche herculéenne, certes :-(