Écoutant la radio hier en fin d’après-midi, j’apprends que « Sarkozy va reprendre en main la politique étrangère ». L’information est simple et compréhensible. Je continue à travailler et change de chaîne, pense à autre chose. Un nouveau « flash » : « Sarkozy va reprendre en main la politique étrangère ». Une heure plus tard, je me branche sur le journal télévisé : la même phrase revient comme une antienne. Cette répétition, bien sûr, doit mettre la puce à l’oreille de son auditeur : ce qui semblait n’être qu’un fait, est à l’évidence un commentaire. On ne se contente pas de dire que le président va s’occuper lui-même de la politique étrangère (on avait cru comprendre lors de sa récente adresse aux Français qu’il l’avait déjà dit), mais qu’il va remettre de l’ordre dans notre diplomatie critiquée de tout part.
Mais d’où vient le commentaire ? Un auditeur monomaniaque, fidèle à une station de radio au point de n’en écouter jamais d’autres, pourrait l’attribuer au journaliste qui a énoncé l’information. Le constat de sa répétition sur toutes les chaînes, que peut faire l’auditeur volage, convainc évidemment de bien autre chose : ce simple énoncé n’est pas un commentaire journalistique, c’est le slogan de la communication de l’Elysée, qui a décidé de magnifier la fonction présidentielle, de redonner à ce président en chute libre, une carrure internationale (d’autant que DSK, comme on le voit dans ses apparitions a physiquement les épaules larges).
Cet alignement de l’information audiovisuelle sur la construction des événements par la cellule de communication de l’Elysée est bien plus inquiétant que les gestes divers d’intimidation des médias car elle donne des allures objectives à ce qui est, somme toute, un jugement, parfaitement subjectif, comme tout jugement. Moyennant quoi, il donne l’impression que Sarkozy va sauver la situation, grâce à ses qualités héroïques de Zorro de la politique. À l’heure où la question du pouvoir médiatique de Sarkozy se pose, comment se fait-il que les journalistes acceptent de répercuter un slogan présidentiel sans l’assortir d’un ancrage auctorial minimal, en précisant par exemple, « selon l’Elysée, le président Sarkozy reprend la main » ? L’un des pires obstacles à l’objectivité réside dans la difficulté qu’a le récepteur à attribuer un énonciateur à un énoncé. Dans sa difficulté à savoir si l’on nous décrit un fait ou si l’on nous livre un commentaire. Ce type d’information est donc définitivement à bannir sous cette forme.
(J’en profite pour signaler la réédition dans la collection de Poche de l’Aube de Le Téléprésident. Essai sur un pouvoir médiatique, écrit en collaboration avec Denis Muzet).
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