LEMONDE | 26.02.11 | 13h50•Mis à jour le 26.02.11 | 13h50
Dans un ouvrage récent, Le Palais des livres, Roger Grenier, compagnon de Camus au journal Combat, livre sa définition de l'écrit : “Les comptes que l'on règle avec soi-même sur une feuille de papier, c'est ce qu'on a de plus personnel. La vraie vie privée, c'est l'écriture.” Pourtant, combien de romans nous accablent d'une vie privée couchée sur papier, indigeste de détails et secrets sulfureux ! Il faut ajouter que pour cette race d'écrivains, vie privée rime souvent avec vie sexuelle, rendez-vous et relation amoureuse, comme si la sphère personnelle n'enclavait que le désir, son inassouvissement et ses affres. Conquête, jalousie, jouissance, désamour : la linéarité intime du “je t'aime moi non plus” se déroule le plus souvent ainsi dans sa désarmante vacuité.
Dans ce registre dévoyé des aveux révélés, il est pourtant des livres qui se démarquent par une grâce immanente parce que le sujet y est grave, le style impeccable et les mots enfiévrés. Ils apparaissent alors pareils à des comètes dans le ciel plombé des parutions que l'on vient d'évoquer. Je veux parler ici d'Olivier, un prénom écrit en lettres rouge sang sur le fond blanc de Gallimard, le récit que nous livre Jérôme Garcin (Raphaëlle Rérolle en a fait la critique dans Le Monde du 11 février). J'y reviens cependant parce que ce livre émerge comme un diamant, qu'il nous bouleverse en mêlant deux êtres, l'un mort et l'autre vivant, qui auraient dû s'épanouir et mûrir côte à côte, continuer à pratiquer en secret ce langage mystérieux des jumeaux, l'éolien, comme l'a ainsi nommé Michel Tournier dans Les Météores.
Jérôme Garcin eut un frère jumeau qui, à la veille de leurs 6 ans, se fit emboutir de plein fouet sur une vicinale de Seine-et-Marne par une voiture de voyou qui ne s'arrêta pas. Le livre pose la question récurrente d'une douleur née “un soir doux de 1962″ et qui ne peut s'éteindre. Elle vit au tréfonds de l'auteur comme un mal sans remède, un deuil où le temps est sans effet.
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