Philippe Sollers est un personnage agaçant, envers lequel j'avais jusqu'à présent beaucoup de prévention et un peu d'aversion.
Quand cet histrion, comme il se présente lui-même, apparaissait sur un plateau de télévision pour y parler de l'un de ses livres, je me disais qu'il me serait impossible d'en lire jamais un seul.
Peut-être, parce que je ne l'ai pas vu vanter Trésor d'amour, publié aux Editions Gallimard ici, ai-je enfin surmonté cette petite aversion qu'il m'inspire.
Il faut ajouter en outre que je m'étais laissé dire que Philippe Sollers y parlait de Stendhal. C'était le mot de passe pour me décider à franchir le Rubicon de mes préjugés à son égard.
En fait il faut toujours se méfier de l'auteur. Sur le petit écran il apparaît tantôt à son avantage, tantôt à son désavantage. Il peut être aussi bien embobineur que repoussoir.
Trésor d'amour serait un roman. Il est vrai que sous ce terme il est possible de comprendre beaucoup de façons. Le roman est une auberge espagnole qui permet à l'auteur d'y mettre à volonté ce qui lui passe sous le clavier ou sous la plume, après l'avoir produit dans son esprit. Dans nombre de romans d'aujourd'hui l'intrigue est réduite à la portion congrue. Elle est ténue et n'est qu'un prétexte pour enfourcher des dadas.
Trésor d'amour appartient à cette dernière catégorie. Amateurs d'histoires rondement menées, fabriquées en série, à rebondissements, qui vous scotchent du soir à l'aube, s'abstenir. Ce qui ne veut pas dire que vous n'aurez pas la tentation et l'envie de le lire tout d'une traite. Sa facture classique, et désordonnée à la fois, foisonnante, ne vous empêchera certainement pas de lui faire un tel sort.
Minna est professeur de littérature à l'université de Milan. Elle a publié un brillant petit essai sur les Souvenirs d'égotisme. Sa spécialité est Stendhal, dont elle pourrait être sans difficulté l'un des personnages. Elle correspond bien d'ailleurs à un personnage secondaire de La Chartreuse, Anetta Marini :
""Une petite fugure brune, fort jolie, et dont les yeux jetaient des flammes."
Des flammes n'exagérons rien, mais du lumineux, c'est sûr.
Plus précis :
"Elle a un petit air décidé, bien prise dans sa petite taille."
Et surtout :
"Ses yeux, comme on dit en Lombardie, semblaient faire la conversation avec les choses qu'ils regardaient.""
Le narrateur est l'auteur, qui ne manque pas, par moments, dans cette autofiction, d'être aussi agaçant que sur les plateaux télé, tant il semble avoir une haute idée de lui-même, tant, avec un dédain qui se veut aristocratique, il se fait donneur de leçons sur notre époque, tant il se fait paon en souvenir de ses bonnes fortunes :
"J'ai été très heureux avec quelques Européennes, Chinoises, Noires, Colombiennes ou Portoricaines, dragues faciles et sans histoires, aux antipodes des puits de névroses des Américaines, ces grandes malades du blocage mondial."
L'intérêt du livre n'est donc pas dans l'intrigue qui se résume à quelques récits et réflexions sur l'amour entre Minna et l'auteur-narrateur, ni dans le narcissisme de ce dernier, encore que je comprenne son souci d'établir des correspondances entre Minna, Stendhal et lui. Il est dans la réelle connaissance que Sollers a d'Henri Beyle. Il a la générosité de nous en faire profiter et de nous donner envie de replonger dans cette oeuvre singulière qui a accompagné mes émois d'adolescent.
Il met ainsi en lunière des aspects oubliés de la vie de l'écrivain qui ne s'est pas suicidé "de peur de se faire mal" ... Des extraits des oeuvres de Stendhal, particulièrement les intimes, telles que La vie d'Henry Brulard, Le Journal, Souvenirs d'égotisme, sont l'occasion pour lui de les replacer dans leur contexte. Et pour tous ceux qui s'interrogent encore sur l'amour-passion - j'en fais partie -, De l'amour reste, comme on dit de nos jours, le livre incontournable.
Commentant l'épitaphe que Stendhal aurait aimé voir inscrite en milanais sur sa tombe, Sollers lâche ce commentaire approprié :
"La vraie tombe de Stendhal est cette inscription : "Je vis, j'écris, j'aime." Dans cet ordre, et pas autrement. Tout le poids de cette déclaration ternaire porte sur aime. De quoi déconcerter les siècles des siècles, et pas de Panthéon, en tout cas.
Il faut insister : c'est parce qu'il vit et qu'il écrit qu'il aime, et non pas parce qu'il vit et qu'il aime qu'il écrit. Il y a la vie, l'écriture, l'amour. Ou encore : l'amour naît de la vie qui s'écrit."
Certes on peut imaginer que Stendhal n'aurait pas eu les pensées que Sollers lui prête à travers les époques, particulièrement la nôtre, mais le modeste stendhalien que je suis le remercie cependant de lui ouvrir, ce faisant, de nouvelles perspectives. Il le remercie surtout de parler de Stendhal tout simplement, ce dont je ne me lasse pas :
"Magré sa gloire y a-t-il encore quelque happy few pour lire vraiment Stendhal ? Je veux dire : sans cinéma ? Dans le rythme, la phrase, les idées, l'esprit ?"
Sans être en aussi parfaite communion d'esprit et d'idées que Sollers avec Stendhal, le style sec et précis, comme le Code civil de Napoléon, rapide et nerveux, de ce dernier, non dépourvu de nuances, ne laisse pas de me séduire et je me réjouis de cette magnifique piqûre de rappel, que nous inocule Sollers, qui m'incite à relire Stendhal, toujours vivant, encore et encore, pour apprendre un peu à MFCDT.
Francis Richard