L’idée de cet ouvrage est excellente ; la méthode narrative choisie – les griefs des héros s’exprimant à travers des lettres adressées aux écrivains – l’est tout autant. Ainsi, Julien Sorel écrit-il à Stendhal, Homais à Flaubert, le Petit Poucet à Charles Perrault, Cadichon à la comtesse de Ségur ou Zazie à Raymond Queneau. De quoi ces personnages se plaignent-ils ? Mais du sort peu enviable que leur avaient réservé leurs auteurs pour servir leurs romans, rien de moins. Meursault en veut à Camus de ne pas lui avoir donné de prénom, Jean Valjean tance Hugo, non de l’avoir condamné au bagne, mais à « une misère libidinale ab-so-lue », Marie Arnoux regrette l’amour uniquement platonique que Flaubert lui avait fait vivre dans L’Education sentimentale.
Le registre plus que leste, présent dans plusieurs lettres, notamment celle de Juliette au marquis de Sade, affiche quelques lourdeurs que l’on pourra regretter. En outre, moins croustillant que « proustillant », le style de Jacques Géraud tient un peu trop souvent le lecteur en haleine par des phrases interminables, étalées parfois sur plusieurs pages, qui font perdre le fil. Il n’empêche ; on sort de ce petit livre à la présentation particulièrement soignée avec l’envie de lire ou de relire les romans dont il est question, et ce n’est pas là son moindre mérite.
Illustration : Le Golem, film de Paul Wegener.