Les Caprices d’un fleuve conte avant tout une histoire d’amour. Entre un homme et une femme bien sûr, voire plusieurs femmes même, mais surtout entre cet homme et un continent – le plus ancien de tous, celui qui entra le premier dans l’Histoire au contraire de ce qu’affirment certains incultes. C’est un lieu bien commun mais tout autant vrai, du moins pour ce que j’ai eu l’occasion d’en voir : une fois qu’on a connu l’Afrique, on n’est plus tout à fait le même. Peut-être parce que dans cette Mère de toutes les Patries on se sent comme dans un ancien chez soi qu’on a eu bien tort de quitter et qu’on regrette profondément…
Mais si Jean-François de la Plaine s’y sent aussi peu à l’aise à son arrivée, c’est parce qu’il arrive avec ses propres regrets, et surtout celui d’avoir dû laisser en France cette femme qui habite son cœur. Les lettres qu’il échangera avec elle pendant un temps seront récitées en voix off, pour mieux correspondre à cette tradition orale du continent africain qui ne s’est jamais vraiment encombré de lettres – d’où sa prédisposition pour les rythmes, qu’ils soient chantés ou joués. Ces chants et ces mélopées, peu à peu, auront raison des réticences et de la rancœur de l’aristocrate en exil : c’est bien sa faiblesse d’esthète musicien après tout…
Il fait sa révolution, tout simplement, celle d’où sortira un homme nouveau. Bernard Giraudeau (1947-2010) campe ici un personnage aussi complexe qu’attachant en dépit de sa froideur apparente, et qui se révèlera à lui-même sans tapage – au rythme de cette Afrique si ancienne que le temps lui importe peu. Quant à Richard Bohringer, il est tout dans les nuances de voix et les regards, à travers une retenue de façade qui peut se briser en un instant – pour mieux renouer, l’espace d’une brève explosion, avec la tradition orale de l’Afrique. Et la jeune Aissatou Sow, enfin, devient le pivot central du récit avec une douceur étonnante, magnétique.
La réalisation, de son côté, fait la part belle à la musique et aux chants : Les Caprices d’un fleuve s’écoute autant que ce qu’il se regarde. Mais à aucun moment il se précipite vraiment, sauf peut-être le temps d’un acte aussi rapide que nécessaire, et surtout pas dans sa conclusion – comme une mélopée lancinante, comme ce continent africain qu’il illustre à la perfection, il se montre aussi doux et hypnotique qu’un envoutement…
Plus qu’un engagement, une dénonciation ou un pamphlet, même s’il lui arrive de l’être l’espace de quelques instants fugaces, Les Caprices d’un fleuve se veut surtout une déclaration d’amour pour un continent entier, mais doublée d’une invitation à un voyage presque sans retour – et il réussit délicieusement bien sur ses deux tableaux.
Les Caprices d’un fleuve, Bernard Giraudeau, 1996
Éditions Montparnasse, 2003
109 minutes, env. 15 €
- la page du film sur Senegalaisement, avec photos et extraits musicaux
- la bande annonce sur le site des Éditions Montparnasse
- d’autres avis : Flach Film, Paris Match, Les Visionnages de Hattori Hanzo