Gilles Perrault ayant, en son temps, fait à peu près le tour de la question, je ne dirai rien du regretté Hassan II. Laissons les morts enterrer les morts et Mohamed VI faire, s’il le peut, le ménage dans l’héritage paternel. Moins flamboyant que le défunt roi du Maroc, le souverain auquel je pense mérite pourtant qu’on s’intéresse à lui. Pourquoi ?
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’éprouve un léger malaise en contemplant les flots de moraline dont la presse, écrite ou audio visuelle, nous inonde à propos des révoltes des peuples tunisien, égyptien et libyen. C’est à qui condamnera avec le plus de virulence les dictateurs déchus. A qui dénoncera le plus violemment leurs turpitudes. A qui, enfin, exigera des responsables politiques passés et présents qu’ils s’expliquent et, au besoin s’excusent sur les liens qu’ils entretenaient avec des régimes aussi évidemment odieux.
Dois-je l’avouer, je trouve la virulence de ces indignations un peu suspecte. Non que j’éprouve pour Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi une once de sympathie. Mais enfin tout ce qu’on leur reproche aujourd’hui, les rédactions aussi bien et peut-être mieux que les ambassades le savaient avant que ces peuples ne s’insurgent contre leurs dictateurs. Or la plupart ont été sur le sujet d’une discrétion de violette. Pour tout dire, quand certains journalistes reprochent à nos gouvernants successifs d’avoir sacrifié les principes démocratiques sur l’autel de la realpolitik, je ne peux m’empêcher de penser à la bonne vieille parabole de la paille et de la poutre.
Mais je fais peut-être à la presse un mauvais procès. Tout le monde n’est pas branché Twitter et Face-Book. Les informations ont quelquefois tellement de mal à circuler qu’il faut se garder d’accuser trop précipitamment les journalistes d’avoir manqué à leur devoir. C’est pourquoi, et dans l’unique but de rendre service, j’ai décidé d’aider ces estimables professionnels en leur permettant, avant que son peuple ne se soulève à son tour, de dénoncer les turpitudes d’un autocrate, qui vaut largement les trois autres. Dans ce but, j’ai réuni à son sujet quelques informations qu’il leur sera facile de compléter en deux coups de cuiller à pot ou, plutôt, en deux double-clicks . Le personnage en question se prénomme Abdallah et il règne sur l’Arabie Saoudite.
Pour commencer il faut savoir qu’Abdallah est un ami à nous. Sinon on se demande bien pourquoi notre Président se serait rendu chez lui trois reprises depuis son élection. Quelques ministres l’ont imité dont Christine Lagarde dont on ne sait pas si elle s’est astreinte au strict respect du protocole local en matière de mode féminine. Passons sur ce détail, pour nous féliciter que, mieux élevé qu’un certain colonel libyen, notre ami le roi n’a pas exigé quand il nous a rendu cette visite, de planter une tente dans les jardins de nos palais nationaux. Il semble d’ailleurs professer pour notre hôtellerie de très haut de gamme un intérêt auquel nous ne pouvons qu’être sensibles et qui doit ajouter à la sympathie que nous lui portons.
Peu sensible aux attraits du multiculturalisme et aux bienfaits du métissage, notre ami le roi ne supporte sur son territoire, l’expression publique d’aucune autre religion ou idéologie que la sienne. Le sort des minorités en provenance principalement d’Asie, n’y est pas précisément enviable et dce qu’elles partagent, ou non, la foi officielle.
Certes, les revenus de l’exploitation de l’or noir ont permis à notre ami le roi d’améliorer notablement le niveau de vie de ses compatriotes. Il reste que les écarts de revenus à l’intérieur du royaume sont impressionnants (mais nous n’avons pas de leçons à lui donner en la matière) et qu’on peut s’interroger sur la destination d’une fraction de ce qu’il est convenu d’appeler la rente pétrolière. Pour les autres fractions, elles assurent, entre autres, à notre ami le roi une solvabilité exemplaire et font de lui un client privilégié des industries d’armement mais pas que..
Qu’ajouter à ce riant tableau ? Peu de choses, peut-être que notre ami le roi finance volontiers les efforts missionnaires de prêcheurs wahhabites dont la qualité principale n’est pas la tolérance comme ne cesse de nous en avertir les policiers des renseignements généraux (qui n’existent plus). Pour le reste, faites comme moi : tapez Arabie sur votre moteur de recherche préféré et vous y trouverez quelques raisons supplémentaires de vous indigner. Je ne doute pas, d’ailleurs, qu’un jour prochain des déferlantes d’articles, éditoriaux et documentaires traiteront comme il convient, c’est-à-dire très mal, notre ami le roi.
Quand ? Euh… ! Peut-être lorsque Ryad, Médine et La Mecque suivront l’exemple de Tunis, du Caire et de Benghazi. En attendant il s’agit de tenir compte de l’Histoire, de la Géographie et de l’Economie (les majuscules ne sont pas là par hasard). On ne va tout de même pas mettre sur un pied d’égalité des dictateurs récents, roturiers et déchus avec des princes du désert héritiers de dynasties dont l’origine remonte, au moins à Abraham. Soyons responsables et, tant que son trône est solidement calé sur des barils de pétrole ne causons aucune peine, même légère, à notre ami le roi.
Chambolle