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De la vieillesse en egypte antique ...

Publié le 26 février 2011 par Rl1948

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   Donnant suite au commentaire que m'adressa un fidèle lecteur la semaine dernière et à la réponse que j'y apportai, j'ai pensé opportun d'interrompre aujourd'hui notre cheminement dans les Maximes (dites) de Ptahhotep qui devait plus spécifiquement nous amener à découvrir la première d'entre elles, pour vous proposer un petit excursus que je voudrais consacrer à la notion de vieillesse chez les Egyptiens de l'Antiquité.

   Jadis, l'on savait que l'on contenait sa mort comme le fruit son noyau, écrivait en 1910 le poète pragois Rainer Maria Rilke (1875-1926) dans son unique roman, les Cahiers de Malte Laurids Brigge.

   Toute l'histoire de la littérature du monde, de la philosophie à la poésie, toute l'histoire de la médecine, toute celle de la peinture et finalement tous les arts en général se sont à un moment ou à un autre, d'une manière ou d'une autre intéressés à la mort, partant, à la vieillesse.

   En présentation de son remarquable essai éponyme (La vieillesse, Paris Gallimard, 1970), Simone de Beauvoir - qui, dans ses Mémoires ne s'est pas privée de narrer avec force détails, parfois sordides, la sienne et celle de son compagnon Jean-Paul Sartre -, se pose une première question philosophique : Les vieillards sont-ils des hommes ?

   A laquelle, d'emblée, elle répond : À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d'en douter. Elle admet qu'ils n'ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité puisqu'elle leur refuse le minimum que ceux-ci jugent nécessaire ; elle les condamne délibérément à la misère, aux taudis, aux infirmités, à la solitude, au désespoir. Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d'ailleurs contradictoires, qui incitent l'adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague. Qu'on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l'en exile (...)

   Me permettez-vous une petite confidence : ce monumental ouvrage de quelque 600 pages dont très récemment je viens de relire l'essentiel, quarante ans après sa parution, à la différence de votre serviteur, n'a absolument pas pris une seule ride ... Tout au plus, alors qu'est étudiée la vieillesse dans les sociétés antiques, fait -il complètement l'impasse sur la civilisation égyptienne : la philosophe évoque la Mésopotamie, la Bible, les Grecs, les Romains, poursuit avec le Moyen Âge et les siècles qui nous ont immédiatement précédés, mais de la sénescence sur les rives du Nil, point !

   Convoquant tout à la fois Léonard de Vinci, dont les sanguines, les dessins à la plume et à l'encre sur pointe de métal de visages et de corps de vieillards constituent un des joyaux de la  Biblioteca Reale de Turin ; mais également quelques savants qui se sont penchés sur le sujet : au IIème siècle de notre ère, le médecin grec Galien dont les prescriptions d'hygiène furent adoptées en Europe jusqu'au XIXème siècle, ou Avicenne, scientifique perse du XIème siècle qui s'intéressa plus particulièrement aux troubles mentaux et aux maladies chroniques des vieillards, ou encore le bruxellois André Vésale qui, XVIème siècle, permit à la science anatomique d'avancer d'un pas de géant grâce aux dissections dont il était le maître incontesté, Simone de Beauvoir rappelle que dans les civilisations antiques, en ce compris l'Egypte, la médecine se confondit avec la magie et qu'il faudra attendre Hippocrate, médecin grec ayant vécu à la fin du Vème siècle et au début du IVème avant notre ère pour prendre conscience que la maladie et le vieillissement constituent le produit d'une rupture de l'équilibre des quatre humeurs entre elles que sont, selon Pythagore, le sang, le phlegme, la bile jaune et l'atrabile.

     Si, pour Hippocrate, la vieillesse, qu'il fut le premier à poétiquement comparer à l'hiver, commençait à 56 ans, le doxographe grec Diogène Laërce note au paragraphe 58 du Livre VIII de son célèbre ouvrage Vies et doctrines des philosophes illustres (Le Livre de Poche, Paris, Librairie générale française, 1999) que le sophiste Gorgias de Léontini - celui-là même qui fit l'objet d'un des célèbres dialogues de Platon -, aurait vécu 109 ans ! (Vraisemblablement de 485 à 376 avant notre ère.)

   Si, comme je l'ai précisé dans la réponse que j'ai faite au commentaire de J.-P. Silvestre que j'évoquais d'emblée ce matin, s'agissant du même rhéteur au paragraphe V, lignes 13-15 de son De Senectute, Cicéron l'ampute de deux ans - Gorgias de Léontium, son maître, accomplit sa cent septième année, et jamais il ne renonça à l'étude ni au travail -, là ne me semble pas être vraiment l'essentie : 107 ou 109 ans, qu'importe en réalité, ne voilà-t-il pas simplement la preuve que l'on pouvait atteindre un âge très avancé dans l'Antiquité ?

   Avec un petit effort, je puis même "pousser" jusqu'à 110 ans pour arriver en terre pharaonique.

   Je ne sais si le Sage vénérable auquel tout à l'heure faisait allusion Madame de Beauvoir était ce vizir Ptahhotep que prit pour modèle et caution littéraire, quatre siècles après sa mort, le lettré égyptien qui composa les Maximes. Toujours est-il que, pour une raison qui n'a pas encore été élucidée, les Egyptiens avaient quant à eux fixé à 110 ans le terme idéal d'une vie heureuse.

   Il semblerait que ce choix soit tout à fait arbitraire puisque ce nombre n'apparaît jamais dans la littérature qu'uniquement assorti du mot "années".

   Si tous les habitants des rives du Nil, vous vous en doutez, furent loin de connaître une telle longévité, beaucoup en revanche, amoureux de la vie, espérèrent qu'en fonction des circonstances ayant émaillé la leur, ils pouvaient y prétendre.

   Ainsi nous est-il donné de lire sur une statue d'Amenhotep fils de Hapou, architecte personnel d'Amenhotep III, père d'Akhenaton : J'ai atteint 80 ans, comblé des faveurs du roi ; j'accomplirai 110 ans !

(Il serait mort approximativement peu après ses nonante ans.)

   Approximativement car, ne sachant ni lire ni écrire ni compter, bien malin celui qui aurait pu, à l'époque déterminer précisément son âge, partant, laisser à ce sujet des traces écrites pour la postérité. Et seul celui approximatif de certaines personnalités peut actuellement être estimé par les égyptologues après un calcul assez compliqué dans la mesure où l'on comptabilisait les années en fonction du règne d'un souverain en exercice : an 1 de tel pharaon, an 2 et ainsi de suite jusqu'au décès du roi ; et le comput recommençait avec l'intronisation du monarque suivant : an 1 du nouveau pharaon, an 2, etc. Beau casse-tête pour ceux qui vécurent sous le gouvernement de plusieurs pharaons ! 

   Ceci posé, les avancées technologiques de notre époque en matière d'imagerie médicale ont maintes fois permis de constater, notamment dans la nécropole de l'Est à Deir el-Medineh, que des hommes et des femmes du village des ouvriers avaient été inhumés là aux alentours de 75 ans. Et d'ailleurs, même si les codes inhérents à l'art funéraire imposent de représenter les défunts avec un corps jeune d'aspect, à plusieurs reprises le détail de la teinte des cheveux - qu'ils soient blancs, gris ou poivre et sel -, parle en faveur d'un échelonnement des âges voulu par les artistes.  

   En fait, le nombre 110, cliché bornant la possibilté maximale de longévité humaine, représentait dans les modes de pensée la récompense accordée par les dieux et/ou le pharaon à tout être qui avait mené une vie juste. Il ne faut donc absolument pas le prendre au pied de la lettre mathématique !

   Il constituait aussi un "compliment" que les zélateurs adressaient volontiers à un supérieur : Que l'Amenti (c'est-à-dire le Bel Occident, la demeure des morts, là où reposent les Justes) te soit accordé sans que tu aies ressenti la vieillesse, sans que tu aies été malade. Puisses-tu accomplir 110 ans sur terre, tes membres restant vigoureux, ainsi qu'il doit être fait à un béni comme toi, quand son dieu le récompense, peut-on lire sur le Papyrus Anastasi III. Ou, plus "égoïstement," un souhait pour soi-même, comme sur la statue du second prophète d'Amon Hornakht et de son épouse, monument référencé A 128 dans les réserves du Musée du Louvre où à deux endroits est gravée la formule pour que le dieu lui assigne l'Amenti après une vie de 110 ans. Comme à tout homme juste, précise la seconde injonction.    

   Ce stéréotype chiffré de la littérature sapientiale sous-entendait donc que l'on espérait devenir un vieillard privilégié par Pharaon, un vieillard qui avait connu une existence juste et heureuse, un sage qui faisait autorité et à qui l'on demanderait conseils et préceptes pour soi-même jouir de semblable vie terrestre ...

   De sorte qu'on le rencontre volontiers dans l'un ou l'autre texte égyptien : ainsi, dans un des contes inscrits sur le Papyrus Westcar est-il fait allusion, à la cour du roi Chéops, à un magicien du nom de Djédi qui, âgé de 110 ans, toujours bon pied bon oeil et surtout bon estomac, mange cinq cents pains et, comme viande, une moitié de boeuf, et boit cent cruches de bière encore aujourd'hui ; sans oublier bien évidemment, dans les dernières lignes de l'épilogue des Maximes (dites) de Ptahhotep : Ce n'est pas peu de chose ce que j'ai fait comme temps sur terre : j'ai passé cent dix années de vie que m'a données le roi.

   Quant aux autres, les nombreux autres, épuisés par le travail du sol ou au service du souverain, ils n'avaient évidemment pas l'occasion de passer un aussi long temps sur terre. Mais comme eux aussi aimaient  profondément la vie, ils ne leur resta qu'une seule solution : faire en sorte, grâce à certaines pratiques rituelles, que ce qui les attendait dans l'Au-delà fût à la mesure de leur espérance ici-bas.

(Lefebvre : 1944, 106-19 ; ID. : 1988, 81; Meskell : 2002, 111)


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