La première fois que j'ai entendu parler de "Detox", nous devions être autour de l'année 2002. Je lisais la page "sorties prévues" de mon Groove Magazine mensuel et il était déjà là, annoncé pour une date inconnue. A l'époque, je n'aurais pas pensé avoir à attendre une décennie pour le voir enfin dans les tuyaux.
A l'époque, Dre et ses copains sont sur le toit du monde. Chronic 2001 vient de replacer avec éclat Los Angeles sur la carte du Hip Hop et les Eminem, Snoop, Xzibit, Ice Cube et compagnie cartonnent un peu partout. C'est le temps de la tournée triomphale Up In Smoke Tour. Une période que l'on peut considérer comme le second âge d'or du Hip Hop californien (après, bien sur, le premier, l'époque de NWA puis de Death Row).
Depuis cette période, donc, dix longues années ont passées et les choses sont devenues moches pour Andre. Musicalement, à part quelques prods impeccable pour le "Kingdom Come" de Jay-Z et le parrainage des premiers albums de 50 Cent et de The Game, il s'est fait très discret, ses apparitions en public se résumant la plupart du temps à annoncer un énième report de la sortie de "Detox". C'est sur le plan personnel que la vie de Dre a basculée. Le décès de son fils Andre Jr. en 2008 a logiquement cassé quelque chose en lui. Les drames de ses proches Eminem (addictions en tous genres) et Nate Dogg (attaque cérébrale le paralysant à moitié) l'ont aussi probablement beaucoup marqué.
Le premier single de ce troisième album, "Kush", reçoit un accueil mitigé. L'impression donnée par ce morceau est étrange: c'est très propre, ça fonctionne mais on ressentirait presque une certaine forme de lassitude dans cet énième morceau parlant d'herbes. Comme si Dre et son acolyte Snoop faisaient le boulot sans grand enthousiasme. Le clip visuellement bluffant mais figé et statique confirme cette impression et apparait, finalement, comme un écho éloigné et quelque peu sinistre de celui, jouissif, de The Next Episode. Mais de "Kush, c'est encore l'ABCDR du Son qui en parle le mieux:
Et si "Kush", premier single de l'Arlésienne Detox, était le clip le plus mélancolique de l'année ? A première vue, c'est une superproduction ahurissante où le moindre détail visuel semble hors de prix. Mais à la deuxième vision, c'est presque une oeuvre amère qui est donnée à voir : Snoop et Dre, rappeurs ridés qui errent dans un club inerte où plus personne ne danse sur leur musique. Nate Dogg, quasi-fantôme remplacé à la hâte par un triste ersatz. Et ce foutu briquet qui refuse de s'allumer, véritable aveu d'échec et symbole parfait pour le plus grand faux départ de l'Histoire du rap.
Le second single sorti début février se nomme "I Need A Doctor", on y retrouve l'éternel Eminem (lui aussi, très abimé par certains déboires) sur un morceau à l'atmosphère triste, très triste et le clip sorti hier soir confirme ce ressenti.
Dre est dans le souvenir et il pense à ses compagnons perdus en cours de route, Eazy-E, Tupac... Plus étonnant, il repense aux grands moments de sa carrière et ce sont des extraits de clips connus, de NWA, de Pac ou d'autres qui défilent, mélangées à des images d'un bonheur familial auquel Andre n'a, de toute évidence, plus accès.
L'histoire de ce clip (Eminem, terrifié d'être laissé seul, fait tout pour ramener Dre à la vie) et toute la communication établie depuis quelques mois nous offrent les premières clés du concept de "Detox". Dre semble partir sur un album triste, nostalgique, peut être désespéré. Le triomphe artistique de cet homme ne pèse pas lourd face à toutes les souffrances endurées durant ces trente ans de carrière.
Au moment de tirer sa révérence et alors qu'on attendait un dernier feu d'artifice, Dr. Dre semble nous préparer un album mélancolique, tourné vers le passé et sans grande joie.
A l'image de beaucoup de vieux amoureux du Hip Hop.