Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)
L’auteur :
a. Les débuts (le présent billet)
b. Premiers succès (à venir)
c. Le triomphe (à venir)
d. Dix ans de Gundam (à venir)
e. L’après Gundam (à venir)
a. Les débuts
Né le 5 novembre 1941 à Odawara, dans la préfecture de Kanagawa située à l’ouest de Yokohama, Yoshiyuki Tomino appartient à cette génération d’auteurs de la culture manga et anime d’après-guerre qui n’assistèrent pas à la chute du Japon traditionnel à proprement parler mais constatèrent néanmoins celle-ci à travers leurs rapports avec leurs aînés : élevé dans une famille nécessairement imprégnée de traditionalisme, comme toutes les familles nippones de l’époque, Tomino grandit malgré tout dans un Japon qui s’ouvrait à la modernité croissante apportée par l’occupant américain et dont il découvrait les apports quotidiens, positifs comme négatifs, à sa nation jusqu’ici féodale.D’une manière pas si surprenante que ça, les éléments de la culture américaine qui eurent le plus d’influence sur le jeune Tomino se trouvent être les productions Walt Disney que ses instituteurs l’amenaient voir avec sa classe de l’école élémentaire ; pourtant, bien que fasciné par ses films comme tous les enfants du monde, il considérait déjà leurs récits comme trop simplistes… (1)(2) De plus, et même s’il ne le comprit pleinement que bien plus tard, il ressentait ces productions – les seules du genre que les enfants japonais étaient autorisés à voir – comme un élément prépondérant de l’effort éducatif, c’est-à-dire propagandiste, mis en œuvre par les forces d’occupation du Japon, le GHQ, afin que le peuple japonais se laisse imprégner des leçons morales prônées par ces films… (1)
Il résultera de cette juxtaposition de traditions et de modernité, mais aussi de plaisirs et de regrets une vision pour le moins contrastée sur la culture du vainqueur, et qui trouvera de nombreux échos dans ses propres productions de réalisateur comme de scénariste et d’écrivain.
Mais celles-ci restent toutes entières à faire quand, au sortir du département cinéma de la fameuse Université Nihon, il intègre en 1963 le studio Mushi Production d’Osamu Tezuka lui-même, qui recrute alors de nombreux jeunes artistes. Loin de voir cette embauche comme un honneur, pourtant, il la vit comme un échec : ce studio, en effet, est le seul à l’accepter, ce dont il conçoit beaucoup de frustration, de tristesse et de regrets car les qualités de réalisation des productions Tezuka de l’époque ne pouvaient en aucun cas rivaliser avec celles de Disney que Tomino aspirait à créer (1).Néanmoins, le « Dieu du manga » lui témoigne une attention particulière en lui confiant non seulement le storyboard et le scénario mais aussi la réalisation de plusieurs épisodes de l’adaptation en série TV de son titre-phare : Astro Boy (Tetsuwan Atom ; 1952-1968) que Tomino, justement, dévorait alors qu’il était enfant, et même si cette œuvre lui donnait l’impression d’être une production américaine – un sentiment qui contraste forcément avec l’enthousiasme que les aventures du petit robot suscitaient chez le tout jeune Tomino puisque les États-Unis avaient fait perdre au Japon la Guerre du Pacifique, un événement alors tout récent et dont les traumatismes habitaient encore tout l’archipel (1). Mais si Tomino n’est pas le seul artiste débutant à travailler sur cette adaptation du manga-culte de Tezuka, lui seul a la responsabilité d’autant de secteurs différents du projet à la fois…
Il collabore à cette production jusqu’à la conclusion de la série en 1966 et reste le premier à dire combien cette expérience lui a apporté, notamment dans l’apprentissage de la construction de récits courts et dans la compréhension du besoin essentiel d’un rythme narratif adéquat pour faire un bon scénario.
L’année suivante, Tomino quitte Mushi Production pour fréquenter l’Institut de design de Tokyo pendant un an, ce qui peut sembler anecdotique au premier abord mais représente certainement un élément fondamental de la maturation intellectuelle qui le mènera peu à peu à créer Mobile Suit Gundam. La formation au design industriel, en effet, se caractérise par une très une forte sensibilisation à la résistance des matériaux et aux procédés techniques de fabrication en série – puisqu’on ne peut pas dessiner un objet si on ne sait pas comment on le fabrique – mais aussi sur les rapports entre l’objet et la main qui le manipule – et qu’on baptise ergonomie, terme dont la signification réelle peut se montrer bien plus subtile qu’elle en a l’air – et donc, par extension, sur la place de l’objet en général dans la vie de tous les jours ainsi que son adéquation aux réalités du marché et de la société de consommation. C’est donc un bagage tout à fait à même de transformer de façon conséquente la vision d’une personne sur la civilisation moderne qui l’entoure, en lui donnant une perception assez particulière du réel au sens large – depuis l’échelle la plus réduite, à travers l’étude des molécules et des polymères, jusqu’aux plus vastes, par la conception de véhicules de grande taille tels que bus ou camions poids lourds, avec tout ce que ça implique tant sur les plans humains que techniques compte tenu de la place qu’occupent de tels objets dans le paysage contemporain.La présentation reste simpliste car il y a peu de place ici pour la décrire plus en détails, sans compter qu’il ne s’agit pas du sujet de ce dossier, mais cette introduction paraît néanmoins pertinente afin de souligner l’influence possible de cette année d’étude sur la pensée de Tomino et son intérêt pour ce réalisme qui sert de clé de voute à Mobile Suit Gundam ; si l’occasion ne manquera pas de revenir sur ce point précis, en attendant, le lecteur soucieux d’approfondir sa compréhension du design industriel se penchera avec bonheur sur des ouvrages tels que La laideur se vend mal (R. Lœwy, 1963) ou Le Système des objets (J. Baudrillard, 1968), voire Le Système technicien (J. Ellul, 1977) pour une meilleure compréhension du rôle de la technique et du design industriel dans notre monde moderne.
Tomino ne revient dans l’industrie de l’animation qu’en 1968 – mais comme indépendant, et pour de nombreux studios différents, comme Tatsunoko Production ou Tokyo Movie. Travaillant surtout comme storyboarder, il lui arrive néanmoins de réaliser des épisodes isolés de productions aussi diverses que Princesse Saphir (Ribbon no Kishi ; K. Akabori & C. Katsui, 1967-1968, d’après le manga éponyme d’O. Tezuka), Kyojin no Hoshi (T. Nagahama ; 1968-1971, d’après le manga éponyme d’I. Kajiwara & N. Kawasaki), Animal 1 (T. Sugiyama ; 1968), Yuyake Bancho (Y. Yoshida & S. Yukimuro ; 1968-1969), Kaitei Shonen Marine (Under Sea Boy Marine ; H. Koyamauchi & Y. Tomino, 1969, séquelle de Ganbare! Marine Kid), Dororo to Hyakkimaru (G. Sugii ; 1969, d’après le manga éponyme d’O. Tezuka), Otoko Ippiki Gaki Daisho (S. Yoshida & S. Yukimuro ; 1969-1970, d’après le manga éponyme d’H. Motomiya), Joe (Ashita no Joe ; O. Dezaki, 1970-1971, d’après le manga Ashita no Joe de T. Chiba), Micky l’abeille (Konchu Monogatari Minashigo Hutch ; I. Kuri, 1970-1971), Nathalie et ses Amis (Sasurai no Taiyou ; K. Hando, 1971), Fushigi na Melmo (T. Nagaki ; 1971-1972, d’après le manga éponyme de Tezuka), et bien d’autres…
Ce n’est pas avant cette année 1972 que Tomino peut enfin se lancer dans la réalisation, à travers sa propre interprétation d’Umi no Triton (1969-1971), un manga de Tezuka qu’il adaptera à sa manière, c’est-à-dire en s’éloignant de façon considérable du matériau d’origine, et parfois même au détriment de la dimension poétique de l’œuvre de départ. Cette série décrit le combat d’un jeune garçon de 13 ans, seul survivant des Tritons de l’ancienne Atlantis, contre le roi des océans Poséidon qui fit anéantir son ethnie pour des motifs obscurs ; en dépit d’un développement assez convenu, la conclusion du récit montre que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air au premier abord, en particulier concernant les raisons de ce génocide par Poséidon ainsi que le statut de héros du personnage principal, mais aussi en s’articulant autour de l’idée – certes bien classique mais néanmoins présentée ici de façon assez inattendue – que tout pouvoir implique des responsabilités proportionnelles à la puissance qu’il confère…La première différence avec l’œuvre originale qui saute aux yeux dans cette adaptation concerne le rythme narratif, car chaque épisode met en scène un nouvel ennemi que doit vaincre le héros – au contraire du manga de départ où les combats se montraient plus sporadiques et moins réguliers. Mais si les séries qui s’articulent autour d’un tel choix narratif souffrent en général d’une répétition de synopsis d’un épisode à l’autre, dans ce cas précis il n’empêche pas le récit de suivre une trame générale qui se développe à chaque nouvel acte au lieu de laisser ceux-ci tourner sans cesse autour du même schéma. C’est aussi une œuvre où le sens de la narration épique qui fait à présent la renommée de Tomino prend une place croissante tout au long de l’intrigue, même s’il se montre ici encore assez balbutiant : en effet, nombreux sont les personnages qui agissent selon leurs propres intérêts, allant parfois jusqu’à la trahison en occasionnant ainsi de sérieux retournements de situation… Bref, plus qu’une simple adaptation, c’est surtout une réappropriation presque complète du matériau de départ que Tomino a ainsi converti selon sa propre sensibilité, et où on sent assez nettement poindre les accents d’une culture littéraire classique.
Pourtant, cette réalisation reste encore une parenthèse dans son parcours, et Tomino revient assez vite au storyboarding et à la réalisation d’épisodes isolés. On peut noter en particulier la comédie pour enfants Demetan, la Petite Grenouille (Kerokko Demetan ; H. Sasagawa, 1973), l’aventure super sentai aux nets accents méchaniques Shinzo Ningen Casshan (T. Koyama ; 1973-1974), l’adaptation du roman pour enfants de Johanna Spyri avec Heidi (Alps no Shôjo Heidi ; I. Takahata, 1974) ou l’aventure spatiale aux forts accents nationalistes Yamato, le Cuirassé de l’Espace (Uchuu Senkan Yamato ; N. Ishiguro & L. Matsumoto, 1974-1975, d’après le manga éponyme de L. Matsumoto).Ce qui est une belle opportunité d’évoquer le lien possible, et souligné par de nombreux commentateurs, entre Yamato et Mobile Suit Gundam : ces deux œuvres, en effet, mettent en scène un équipage de jeunes gens à bord d’un vaisseau spatial à travers un périple dans l’espace. Hélas pour certains exégètes, tout porte à croire que ce lien s’arrête là ; car dans Yamato l’équipage de soldats embarque pour rejoindre une planète éloignée où se trouve le seul moyen de sauver l’humanité, alors que dans Gundam ce sont de simples pilotes d’essai survivants d’une escarmouche ayant mal tourné et qui tentent d’échapper à la destruction de la colonie spatiale où ils sont affectés tout en évitant d’abandonner à l’ennemi les prototypes d’appareils qu’ils testaient : les premiers sont des soldats héros qui quittent la Terre à bord d’un vaisseau « mythique » (3) pour accomplir leur devoir à travers une quête – dans la plus pure tradition de l’épopée mythologique ou chevaleresque, soit la dimension de la légende – alors que les seconds sont un simple équipage de navire de transport militaire contraint de battre en retraite pour survivre et rejoindre une forteresse spatiale au lieu de quitter les environs de la Terre – à travers une banale opération tactique, soit le registre commun du réel. Si ces deux propositions se ressemblent en apparence, dans la manière dont elles présentent un jeune équipage à bord d’un vaisseau spatial, soit dans la forme, elles différent en fait beaucoup sur le fond, par le but de leur voyage respectif (4). S’il reste tout à fait possible – mais aussi discutable – que Tomino a emprunté à Matsumoto l’idée de placer les héros de son récit dans un vaisseau spatial, il n’en reste pas moins évident qu’il s’est réapproprié ce postulat de départ pour mieux le transformer et ainsi l’adapter à l’univers complétement différent de son propre récit – et jusqu’au point que le résultat final n’entretient plus qu’un semblant de parenté avec l’original, ou supposé tel.
L’année 1975 qui suit représente une étape importante pour Tomino car c’est celle de sa première collaboration avec le studio Sunrise fondé trois ans plus tôt par des employés de Mushi Production, qui connaissait à ce moment des problèmes financiers et qui voyait certains de ses éléments s’éloigner pour tenter leur chance à travers leur propre structure : Tomino travaille avec les gens de Sunrise, en fait d’anciens collègues de travail, sur La Tulipe Noire (La Seine no Hoshi ; 1975), une série de 39 épisodes située dans le Paris de cette Révolution française qui fascine tant les japonais. La production met en scène la jeune Mathilde Pasquier, une simple fleuriste qui, sous la tutelle du Comte de Vaudreuil, devient une bretteuse émérite et va masquée pour venir en aide aux opprimés de la monarchie ; elle suit ainsi les pas de Robert de Vaudreuil, alias La Tulipe noire, qui lutte contre les abus de l’Ancien Régime.Au contraire de ce que peut laisser penser le titre, cette production n’entretient aucun lien avec le roman éponyme de 1850 par Alexandre Dumas et Auguste Maquet, car c’est en fait l’adaptation du film français de cape et d’épée réalisé par Christian-Jaque en 1964 sous le même intitulé ; mais c’est surtout une création de Sôji Yoshikawa à laquelle Tomino ne participera que tardivement, en réalisant notamment les épisodes 27 à 39, soit le tout dernier tiers de la série – pour cette raison, il semble assez peu pertinent de s’attarder dessus…
Pourtant, cette expérience apparemment triviale avec le studio Sunrise reste fondamentale dans le parcours de Tomino, car c’est en prolongeant cette collaboration à travers sa prochaine réalisation qu’il trouve l’année suivante l’opportunité d’aborder pour la première fois le genre qui fera sa renommée, avec une série de mechas intitulée Yuusha Raideen et qui connaîtra un certain succès auprès du public…
Suite du dossier (L’auteur : b. Premiers succès) (à venir)
(1) propos tenus dans une conférence du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon – la retranscription (en) du 14 septembre 2009 chez Anime News Network. ↩ ↩ ↩
(2) propos tenus dans l’interview par e-mail accordée en septembre 2009 au mensuel Chopsticks NY – Japanese Culture in New York pour leur rubrique Celebrity Talk – la retranscription (en) complète sur le site officiel du magazine. ↩
(3) ce bâtiment s’appelle Yamato car il est construit, dans l’univers futuriste de cette série TV, à partir de la carcasse du navire cuirassé japonais éponyme de la guerre du Pacifique que commandait l’amiral Isoroku Yamamoto, héros de l’attaque surprise sur Pearl Harbor à la toute fin de 1941 : ce détail qui n’a rien de trivial souligne bien l’aspect nationaliste de cette œuvre et la dimension héroïque de la mission de son équipage fictif, au moins de manière sous-jacente. ↩
(4) la différence est d’autant plus importante dans la série TV de Mobile Suit Gundam où les jeunes gens qui fuient la colonie spatiale sont en grande partie des civils et non des soldats, ce qui souligne davantage leur statut de simples survivants réfugiés par rapport aux soldats héros des personnages de Yamato, le Cuirassé de l’Espace. ↩
L’auteur :
a. Les débuts (le présent billet)
b. Premiers succès (à venir)
c. Le triomphe (à venir)
d. Dix ans de Gundam (à venir)
e. L’après Gundam (à venir)
Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)