Itsik
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“Yitzhok était si muet que les adultes s'en inquiétaient. Pas sa mère. Peut-être savait-elle qu'une voix parlait dans sa tête. Il se demandait si les autres entendaient la même voix. Il craignait de n'être pas normal”.
Toute sa vie, Itsik aura du mal à s'exprimer, la parole sera pour lui difficile, provoquant malentendus et malaises. Les émotions qu'il ressent n'arrivent pas à se mettre en mots.
Son père est cordonnier et la famille est très pauvre. Il n'y a guère d'autre alternative que le départ ou mourir de faim. Il sait qu'un jour son tour viendra, il a vu partir ses frères aînés, Yossel à Berlin, Berish en Palestine.
“Enfant il n'aurait pas voulu que ce soit lui. Il n'était pas audacieux, il aimait Varsovie, la Vistule à Varsovie, la neige à Varsovie, les lilas à Varsovie, les ruelles avec leurs arches entre les maisons, et son père et sa mère.”
Quand il a eu dix-neuf ans, Yossel a envoyé un billet de train pour qu'Itsik vienne le rejoindre à Berlin. Itsik n'a pas envie de partir, mais il va le faire pour Maryem dont il s'est épris et qui ne rêve que d'aller à Paris. Berlin sera une première étape. Yossel était citoyen allemand, juif assimilé, sa réussite dans la confection avait été foudroyante.
“A l'atelier, les règles étaient strictes : ponctualité, propreté - Yossel vérifiait sans cesse les mains - et interdiction de parler yiddish. Il offrit à Yitzhok un dictionnaire et lui expliqua qu'il était aussi important pour lui de parler l'allemand que d'être un bon tailleur”.
Itsik va travailler là sous la férule de son frère et lui obéir jusqu'au jour où celui-ci décide de lui ouvrir une boutique et surtout de le marier avec une de ses ouvrières. Pour la première fois Itsik va oser s'opposer à quelqu'un, parle de Maryem et décide de partir pour la France. Il signe un contrat pour être mineur, ce qui est très mal vu dans son milieu.
Il va passer six mois à la mine, du côté de Toul, le temps d'avoir l'argent nécessaire pour rejoindre Paris, et faire venir enfin Maryem, Maryem à qui il n'a guère donné de nouvelles pendant toutes ces années. C'est aussi à Bruay qu'il apprendra le français avec un instituteur admirateur de Léon Blum et qu'il réalisera un rêve : savoir lire un journal.
“Un tricoteur le prit sur le champ à l'essai. Rien de plus simple que de se servir d'une machine à tricoter. Comme il était sérieux et décidé, il le garda. Il envoya à Maryem le prix de son billet. Bientôt il aurait vingt-et-un ans. Maryem le fit attendre. A force de ronger son frein, peut-être ne croyait-elle plus en Yitzhok”.
Itsik va réussir. Il va trouver le courage de fonder sa propre entreprise de tricot, entraînant son beau-frère dans l'aventure. Maryem et lui vont se marier et avoir deux enfants, un garçon et une fille. Et quand la guerre va être déclarée, comme tant d'autres Itsik se retrouvera au camp de Pithiviers dont il partira un matin pour Auschwitz.
Voilà un petit livre de 106 pages qui en dit beaucoup sur ce qui est arrivé à tout un monde disparu à jamais. Sa grande force est d'entremêler la grande histoire et la politique avec la trajectoire d'Itsik. Différentes époques s'entrecroisent sans que ce soit dérangeant, nous savons dès le départ qu'Itsik ne sera pas épargné, ce qui rend d'autant plus poignant les efforts qu'il déploie pour vivre bien et réussir.
Son impossibilité à s'exprimer lui fera commettre des erreurs fatales, il le sait, mais qui pouvait à l'époque savoir exactement comment agir ? Séparé de sa famille, il verra une dernière fois sa fille Denise, qui a réussi à obtenir une courte entrevue.
“Yitzhok, suffoqué, se jette sur Denise, sans pouvoir prononcer un seul mot, il embrasse son enfant, la couvre de baisers, et elle a peur, Denise, de cette violence. Elle est comme un glaçon dans le feu. Il embrasse, il embrasse, cinq minutes, il n'a que cinq minutes pour tenir la vie de son enfant contre lui”.
Un roman pudique, sans superflu, qui m'a beaucoup touchée. Le hasard du calendrier fait qu'une rencontre avec Pascale Roze est prévue très bientot dans ma librairie habituelle. Elle vient y présenter son dernier livre “aujourd'hui les coeurs se desserrent”. Ce sera l'occasion de faire plus ample connaissance avec elle.
Un grand merci àNanned'avoir pensé que l'histoire d'Itsik saurait me parler (tu ne t'es pas trompée).
Le site dePascale Roze
Pascale Roze - Itsik - 106 pages
Folio - 2009