Je n'ai rien, ou presque dit, ici, de ce formidable mouvement cumulatif qui est en train de faire honte aux démocrates occidentaux qui ne voyaient en face des dictatures arabes (dictatures amies) que des barbus assoiffés de notre propre sang. C'est que ce mouvement, qui fait trembler la Terre des Pharaons, le Maghreb, une partie du Moyen Orient, est trop grand pour moi et je ne saurais qu'en dire, sinon que c'est une formidable claque sur le nez des certitudes et une très grande fenêtre ouverte par ces populations, souvent jeunes, avides de démocratie et non de religion, irréductibles à nos schémas de pensée de jouisseurs égoïstes (Ah, les belles vacances pas chères en Tunisie !), sur des projets d'avenir qu'on n'osait plus espérer pour ces régions.
Je ne sais pas faire d'analyse géo-politique, mais je peux offrir à la mémoire de ceux qui sont morts pour la liberté comme on n'oserait plus le faire, et à ceux qui vont vivre pour cette liberté, une petite chanson de Leonard Cohen (peut-être justement parce qu'il est juif), Who by fire. Ce fut difficile de trouver la bonne version, je vous propose celle-ci, et pour les malentendants, le texte suit.
Cette version est de 1988. En voici le texte, qui me rappelle fort, par certains aspects, le Blowin' in the wind de Bob Dylan. Que j'aurais pu choisir, d'ailleurs.
J'ai parfois le privilège de redécouvrir le cinéma. Je vous parle du cinéma d'ambition, qui donne le vertige, qui se jette dans le vide. Ce fut le cas en 2008 ave Lola Montès, l'ultime film blessé de Max Ophüls, ce fut le cas en 2010 avec l'Oncle Boonmee et, plus récemment, avec Les Mystères de Lisbonne de Raul Ruiz, film fleuve en ce qu'il entraîne le spectateur dans un courant qui semble fait de remous et dont le fil n'apparaît que progressivement, à mesure que le réalisateur-auteur dévoile une histoire simple sous l'apparente complexité, multiplicité des récits imbriqués. J'imagine la surprise de mes lecteurs les plus fidèles (que j'embrasse à nouveau) si j'avoue que la sidérante vision de The black swann a opéré en moi le déchirement intérieur qui, jaillissant du sexe pour irriguer le coeur et le cerveau, me transforme, me rend, je ne sais pas, meilleur ou pire ? Différent. Et si c'était le rôle du cinéma, non de nous divertir (donc de nous rendre étrangers à nous-mêmes) mais de nous transformer en nous ramenant à ce que nous sommes ? Ce pourrait être le cas d'un film qui aurait pour objet la transformation. La mutation. The black swan est ce film.
"Un homme de 42 ans a été abattu par balles samedi soir dans un multiplexe de Riga, la capitale de la Lettonie, à la fin de la projection du film Black Swan. Un suspect de 27 ans a été arrêté par la police. Il aurait tiré parce que la victime mangeait du popcorn trop bruyamment pendant le film" (The Daily Telegraph cité par Les inrocks.com). Personnellement je trouve tout à fait normale la réaction du killer. Il était un cygne blanc assumant son innocence devant une sorte de criminel bonasse dont l'existence n'était destinée qu'à pourrir la vie des autres.
The black swan, c'est les Cahiers du cinéma qui en parle le mieux, notamment en donnant la parole à son génial réalisateur, Darren Aronovsky. Je ne vais pas faire une critique du film, on trouve ça partout, juste citer Darren (interview des Cahiers), quand il définit le mélodrame, parce que je trouve, dans sa simplicité même, cette définition, dénuée d'arrogance, nouvelle et intéressante : "Le mélodrame, c'est un drame avec de la musique, un drame avec mélodie. C'est l'art de prendre des personnages types et d'ajouter de la musique et n'importe quel élément qui aide à rendre l'histoire plus extrême". Ce que je n'ai pas trop lu dans la presse, à propos de ce film qui vous prend là où vous présentez une faiblesse, et ne vous lâche plus, c'est qu'il s'agit d'un mélo. Un mélo magnifique, digne du meilleur Sirk. Nourri de références multiples, de Polanski (Repulsion n'est jamais loin) à Hitchcock, même si on a souvent comparé le Black Swan au soushitchcockien De Palma. Restons sérieux, le meilleur De Palma ne sera jamais qu'un brouillon scolaire à côté de ce film qui vous prend là (je vous laisse imaginer ce là, selon vos préférences) et qui vous jette à la fin, comme un petit sac en papier froissé, honteux mais heureux d'être encore vivant. J'ai vécu ce mélodrame d'horreur (sans dec, les mecs, c'est pas un film pour les enfants ou les spectateurs de Dany Boon) comme ce que pourrait réaliser aujourd'hui ce bon Hitch, à condition de s'épousseter les rigueurs du temps au sortir du caveau.
Plusieurs scènes m'ont tenu dans un état d'exaltation pendant ce film. La petite white swan métamorphosée en black, sorte de Bela Lugosi prenant le contrôle de Chistopher Lee dans un Dracula de rêve, est une merveille de cinéma et on le doit beaucoup au jeu presque hystérique (presque, j'insiste) de l'incroyable Natalie Portman. Tout ce qui nous a usé les nerfs jusqu'à des envies de meurtre en la voyant occuper toute la place dans la presse récemment, tombe devant l'évidence d'une star.
Je me rends compte que je n'ai pas assuré, s'agissant de la critique. J'espère avoir convaincu du niveau de mon exaltation devant ce film hors normes, presque fauché, qui va tout rafler (je l'espère) aux Oscars, consacrant à Hollywood la considérable supériorité du talent sur le savoir-faire.
Quelques images.
Quand je vois ces films, je ne pense pas aux césars. Je voulais, en fait, faire un papier sur l'état du cinéma français qui, contrairement aux chiffres de fréquentation rassurants, montrent un mouvements d'ascenceurs contraires. Dans le même temps, le cinéma pour maisons de retraite progresse, mais ça représente peu de films et le cinéma qui cherche à faire progresser l'art de l'image doit laisser la place. Un film aussi passionnant que Les filles en noir de Civeyrac a fait un nombre d'entrées si modeste que cela fait rigoler les gens qui n'aiment pas le cinéma, qui refusent d'être surpris, qui ont horreur de ce qu'ils ne saisissent pas immédiatement, de ce cinéma snob-intello qui les fait bailler ou vomir. Si, comme l'écrivait Malraux il y a quelques décennies, le cinéma est aussi une industrie (pas que), on a du mouron à se faire. Du mouron pour les petits oiseaux. Des oiseaux qui s'envolent avec mépris pour la pesanteur sans ailes de l'industrie du juste milieu. Putain, bordel de merde, le cinéma ne peut être ce machin centriste mou qui va triompher aux césars ? Si ? Ah bon, oui, c'est vrai, il faut rester modeste, il faut se dire que l'art cinématographique, c''est un truc de riche, d'inutile, d'asocial, puisque la société, la vraie, ne se réunit pas devant les films de Bruno Dumont qui, devant l'échec commercial de son magnifique Hadewijch du à une distribution déficiente se demande s'il pourra faire financer un film de plus. Bruno Dumont, Palme d'or à Cannes pour un autre film, privilège que d'autres réalisateurs de talent n'ont pas connu.
Alors qu'ils crèvent, pendant que les Dany Boon (dont le dernier avatar est un échec commercial, quel que soit le nombre de millions d'entrées, un Cameron n'aurait jamais fait l'erreur de satisfaire l'attente du public par du vide) remplissent les salles à moitié, mais les mobilisent, empêchant les créateurs de montrer leurs films.
J'aurais bien terminé sur l'urgence d'aller saluer Ranato Berta à la Cinémathèque, mais je n'ai plus le temps. Je voudrais juste citer un titre de film : Les indiens sont encore loin, avec Christine Pascale (MA Christine) et Isabelle Huppert. Cherchez l'erreur de casting et demandez-vous qui vous auriez embauché.
Le nombre de films qui comptent aligné par ce chef op est impressionnant.
Bonne semaine, à bientôt.