Ville sexuelle, ville sexuée

Publié le 24 février 2011 par Heilios

Ce n’est certainement pas Philippe Gargov, tenant d’une nouvelle pensée, à mi-chemin entre l’urbanisme et la masturbation, qui me dira le contraire. La ville sécrète du sexe : Métro bondé, façon souterrains tokyoïtes, petites annonces « baise-en-ville » sur le mur éclaboussé des chiottes du coin de la rue, publicité accidentogène sans retenues, au détour d’un carrefour, …  Le sexe est partout. Produit de la ville, comme facteur de sa propre re-production, le sexe revêt pourtant un double sens. N’en déplaise donc à ceux qui pensaient trouver ici un peu de cul, la « chose » de ce billet fera moins bander les « pornophiles » pré pubères que les sociologues en mal d’urbanité.

La ville, cette école qui n’aime pas la mixité

« Dans la construction de l’espace urbain moderne (…), la dimension sexuée -les rôles différents attribués aux hommes et aux femmes- a été à la base même des grandes divisions (morphologiques, économiques, sociales, symboliques) qui organisent la ville »

Nous y revenons : La ville sécrète du sexe, tout comme d’ailleurs elle en est de sa sécrétion, nous rappelle Jacqueline Coutras, chercheur au CNRS. Longtemps espace réservé à la production de testostérone, agent économique actif et facteur de richesses (comme de poils), la ville s’est aujourd’hui largement féminisée. Sortie de sa cuisine,  d’un espace-temps jusqu’il y a « peu » limité aux murs du foyer familial sinon aux frontières proches du quartier, la femme, à mesure qu’elle gagnait la sphère du travail, investissait la ville et ses dédales. Malgré ces avancés féministes et le progrès constant effectué en faveur de l’égalité des sexes pourtant,  l’espace urbain semble encore aujourd’hui largement empreint de machisme, contraignant de fait, les femmes dans leur quotidien et leurs pérégrinations citadines. La ville produit des divisions sexuelles mais différenciées selon les temps de la journée et dans l’espace.

Sex in the City

Il y a des endroits de la ville plus propices que d’autres à la circulation des femmes dans l’espace public. Si certains de ces lieux sont aujourd’hui hyper-sexualisés, féminisés à outrance, au risque de voir l’égalité spatiale disparaître au  grand malheur des hommes (voyez ces dizaines de magasins de prêt à porter féminin qui nous toisent  de leurs enseignes et déchirent nos oreilles d’une mélodie aseptisée), il y en a d’autres en revanche ou il ne fait pas bon profiter de la vie urbaine lorsque l’on est une femme. Dans les quartiers urbains en crise, et qui plus est, en « crise d’urbanisme », le mouvement ni putes ni soumises nous rappelle qu’il est plus que jamais difficile pour l’autre sexe d’investir les espaces publics sexués, tenus par les mecs de la tour d’en face.

L’urbaniste a un véritable rôle à jouer dans le rééquilibrage progressif des inégalités et dans la construction d’une ville moins « masculino-centrée ». Pour la plupart des femmes interrogées, le sentiment d’inégalité urbaine naît d’abord d’une forme d’insécurité, produit tout à la fois, de l’autre, de l’homme donc, mais également d’une forme inadaptée d’urbanisme et de conception de certains espaces urbains.  Ainsi, les parkings silos ou souterrains constituent bien souvent autant d’espaces désertés sinon esquivés par les femmes qui adoptent de fait, des techniques d’évitement. Plus généralement,  l’organisation d’espaces urbains « fermés » constitue un exemple de discrimination pour les femmes…. Heureusement pour elles, l’urbanisme est à l’ouverture ces derniers temps!

La division sexuée de l’espace urbain se mesure également à l’aune de la question des mobilités. Alors que le territoire métropolitain est d’abord le fait de la mobilité masculine, celui du « local » relève davantage des  femmes, comme le souligne Marie Christine Jaillet, professeur de géographie à l’Université de Toulouse Le Mirail :

« Pour un couple bi-actif (toutes les enquêtes le montrent), on privilégie le lieu d’habitation qui est le plus proche du travail de la femme, car, malgré l’égalité affichée dans le couple moderne, c’est la femme qui continue à vaquer à certaines occupations : l’entretien de la maison, les enfants, les courses … »

Or et malgré que « les stratégies d’habitat aujourd’hui, se construisent à partir du rôle de la femme, en tout cas à partir de son trajet domicile – travail », dans la plupart des cas, trop d’études en rapport avec la politique de l’habitat font encore l’économie de ce fait en basant leur approche sur le référent des déplacements de l’homme du ménage.

La prise en compte des femmes dans les opérations ou les démarches d’urbanisme est peu étudiée lorsqu’elle n’est tout simplement pas éludée (principe républicain oblige). Pourtant, l’urbaniste a sur cette question, un rôle majeur à jouer (au risque de me répéter), pourvu qu’il veule bien, en amont de ses actions, prendre en compte les situations de sexe et de genre au sein de l’espace urbain. Si, la « gender geography » anglo-saxonne ainsi qu’un  certain « urbanisme de genre », semblent déjà avoir pris le sujet en main au Canada ou bien aux Etats-Unis notamment (depuis les années 70), les pays baignés d’histoire républicaine et d’approche sociale de l’idée de mixité paraissent en revanche n’avoir de cesse que de minimiser l’importance d’une intellectualisation des dualités homme/femme au sein de la ville contemporaine.

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    Mots-Clés

    Canada • Christine Jaillet • espace public • Etats-Unis • Féminisme • gender geography • Jacqueline Coutras • ségrégation sexuelle • ségrégation spatiale • sexe