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Petit journal, petit vocabulaire

Publié le 24 février 2011 par Legraoully @LeGraoullyOff

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Oui, je sais, râler contre la médiocrité de la télévision, c’est enfoncer une porte ouverte, c’est faire dans le facile, c’est de l’impertinence bon marché. Qui pis est, parler télévision au moment où les Lybiens paient de leur vie leurs désirs de liberté, c’est d’une futilité digne de Paris Hilton. Mais n’empêche.

Oui, n’empêche. N’empêche que là, j’ai vraiment été poussé à bout, et je ne peux plus garder ça pour moi ; il me faut donc vous faire part de l’ire qui m’a envahie en regardant cette séquence du célèbre Petit journal sur Canal+. J’avais déjà eu l’occasion, si vous vous en souvenez, de montrer du doigt l’image que les amuseurs de la chaîne cryptée cherchaient à donner des lycéens en lutte contre la réforme des retraites : sous prétexte d’impertinence, ils présentaient ces lycéens comme de jeunes consuméristes inconséquents et frivoles pour lesquels la grève n’était qu’un prétexte pour sécher les cours, flattant ainsi les préjugés d’un certain nombre de personnes sur la jeunesse ainsi que la propagande que développait alors le gouvernement afin de discréditer le mouvement lycéen. C’est sympa pour ceux d’entre eux qui se sont fait tabasser par les CRS…

Ce que je voudrais dénoncer aujourd’hui relève d’un problème autre que celui de la fausse impertinence au service des puissants. La séquence qui m’a tant fait tiquer a été diffusée le lundi 21 février ; ce jour-là, les amuseurs de Canal+ revenaient sur une intervention de Laurent Fabius sur Radio Classique. Voilà ce que cela a donné : Yann Barthès, bouffon du roi en chef, annonce « PS nouvelle génération, es-tu là ? » puis viennent les images de Laurent Fabius déclarant « ce sont des rodomontades montées sur des ergots ! J’ai l’impression que la dernière foucade », fin de citation, les propos mêmes de l’ancien premier ministre n’intéressant guère, quant au fond, les rigolos du Petit journal. Yann Barthès conclut : « Les socialistes sont de sacrés fanfarons qui viennent avec leur temps ! » NON ! CETTE FOIS, C’EN-EST-TROP !

Ce n’est pas la première fois, hélas, qu’ils croient intelligent de se moquer de ceux qui ont le malheur de montrer qu’ils ont du vocabulaire, mais là, c’est le cheveu qui fait déborder la soupe ! S’il ne devait y avoir qu’une chose dont j’ai énormément souffert, au collège, c’était justement de devoir presque m’excuser en permanence d’aimer me cultiver et d’avoir du vocabulaire ! Un jour, j’ai eu le malheur de prononcer le mot « chafouin » devant mes « camarades » de classe ; j’avais découvert ce mot dans une bande dessinée de Goscinny – ce n’était pas non plus une référence hautement intellectuelle et hors d’accès pour le grand public ! Seulement, la majeure partie des autres élèves ne connaissaient pas le mot, et comme j’avais déjà pris l’habitude de l’employer comme synonyme de « sournois », je n’avais pas su, ce jour-là, le définir, ce qui m’a valu la réputation d’utiliser des mots que je ne comprenais pas moi-même ou qui n’existaient pas… Et donc, en regardant cette séquence du Petit journal qui se moquait de Fabius, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir proche de ce dernier, la bande à Yann Barthès tenant désormais le rôle que tenaient jadis mes camarades de classe. Rien que pour m’avoir fait compatir avec un homme politique que je déteste, j’en veux terriblement à l’équipe du Petit journal !

Voilà donc comment l’usage de la langue est envisagé sur Canal+ : si tu as du vocabulaire dont tu te sers dans tes propos parce que tu aimes la langue française, ses grâces, sa richesse et son élégance, tu es un ringard, un vieux débris bon pour la retraite, une pièce de musée tout juste bonne à amasser de la poussière. Mais si tu ne connais qu’une quantité dérisoire de mots sans vouloir en connaître davantage, te complaisant dans un discours sans beauté ni richesse manifestant une crasse inculture, tu es moderne, tu « vis avec ton temps » comme disent les ayatollahs du jeunisme et de la modernité irréfléchie. En gros, sois con, sois inculte, sois indécrottable et tu auras droit au respect des gens de ta génération ; n’écoute pas les professeurs de français qui veulent te tirer de ta merde, ce sont forcément des vieux cons, et si tu continues comme ça, tu pourras travailler pour le Petit journal et te venger des profs et des premiers de classe en te moquant des gens qui commettent la faute grave d’avoir plus de trois mots de vocabulaire. Pour respecter l’idéal de modernité faite langue française tel que l’envisage le Petit journal, il aurait probablement fallu que Fabius parle comme un charretier…non, même pas, comme une « caillera » de banlieue ! Là, oui, ils n’auraient pas accusé d’être coupé de la jeunesse de notre pays ! Parce qu’en plus, ils ont souvent eu l’occasion de montrer dans quelle estime ils tiennent la jeunesse ! Outre l’image qu’ils ont donnée des lycéens en grève, il faut aussi souligner la manie qu’ils ont de dire que les jeunes cons fans de Justin Bieber représentent l’ensemble des « ados », à croire que les adolescents sont tous sortis du même moule…

Pour résumer : bonnes gens qui aimez lire et vous cultiver, fuyez le Petit journal, il vous fera passer pour une anomalie monstrueusement exotique ou pour un fossile vivant. Jeunes, faites-en autant, les bouffons du roi de la quatrième chaîne n’ont pour vous que mépris souverain, à l’instar des beaufs fans de Jean-Pierre Pernault. Enfin, moi, ce que j’en dis… Allez, kenavo !  

Petit journal, petit vocabulaire


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