(Humeur) La sériephilie sans frontières peut-elle exister ?

Publié le 24 février 2011 par Myteleisrich @myteleisrich

Quand Livia met les pieds dans une cinémathèque et se prend à rêver...

Je ne suis pas cinéphile. Cependant, je reste une grande consommatrice de culture. J'essaye de parfaire un peu mes explorations au-delà de mon obsession télévisuelle, de crainte de devenir trop exclusive. C'est ainsi qu'hier soir, je me suis retrouvée à la cinémathèque où le ciné-club local organisait une projection du magistral Château de l'araignée de Kurosawa (et pouvoir apprécier ce film sur grand écran, c'est classe). Dans les discussions qui suivirent, certains intervenants expliquant que le film avait mis de nombreuses années avant de parvenir jusqu'en France par le biais de festivals, la discussion a rapidement porté sur l'étanchéité des frontières à l'époque et les trésors qui pouvaient rester inaccessibles... Pourquoi est-ce que je vous parle de la cinéphilie de la fin des années 50 me direz-vous ? Outre que le fait que cet échange ne m'a pas paru sans faire écho à d'autres discussions sur cet autre média qu'est la télévision, mon cerveau a logiquement dérivé sur, justement, la sériephilie.

Parce que hier soir, j'ai mis les pieds au sein d'une communauté que je connais peu et j'ai pu assister - presque surprise et fascinée - à un quart d'heure d'échanges de vrais passionés comparant les différentes adaptations du MacBeth shakespearien, citant tour à tour Orson Welles, Kurosawa, puis dérivant sur les adaptations soviétiques (!) de Shakespeare. Chacun évoquait les influences qu'il y percevait, les spécificités culturelles, le classicisme de l'un, le théâtralisme de l'autre... Aucune des productions n'était dépréciée. Un vrai dialogue où chaque film était considéré comme recevable. Une fois rentrée chez moi, je n'ai pu m'empêcher de me demander... Et s'il me prenait l'envie de disserter et de réfléchir sur la perception de l'adolescence à travers le petit écran et les cultures, en comparant quelques-unes des séries emblématiques de ces dernières années, par exemple : Life Unexpected (Etats-Unis), The Secret Life of the American Teenager (Etats-Unis), Skins (Angleterre), Life (Japon), Jungle Fish (Corée du Sud), Gloomy Salad Days (Taiwan), pourquoi ai-je le sentiment que c'est avec une polie réserve que l'idée serait accueillie ? Pourquoi le premier débat est-il possible et, surtout, considéré comme normal et parfaitement légitime entre cinéphiles, tandis que le second paraîtrait impensable et sans pertinence ? Est-ce que je me suis trompée de passion ?

 Entre défendre les frontières acquises ou explorer, il faut choisir.

Le premier contre-argument que l'on pourrait m'opposer serait sans doute celui-ci : comment parler de séries qui n'arrivent pas jusqu'à nous ? Vous aurez beau étudié vos programmes avec attention, vous ne croiserez pas un j-drama dans les grilles de vos chaînes. Notons cependant que l'alternative légale se développe peu à peu : il existe des services permettant de faire découvrir légalement au téléspectateur européen ces séries d'horizons si lointains, en témoigne le site dramapassion avec les séries sud-coréennes. Reste que, cessons la naïveté un instant, il n'y a aucune différence dans le mode opératoire du sériephile qui regarde sa série américaine le lendemain de la diffusion aux Etats-Unis et celui qui va visionner une série taiwanaise.

Serait-ce alors un problème linguistique ? Encore une fois, c'est un faux argument, tous les passionnés ne sont pas anglophones et le travail des fansubbers existe indifféremment dans tous ces domaines. D'autant qu'en France, la programmation des chaînes ne permet pas de vivre sa sériephilie par leur seul biais (le dernier massacre en date, avec The Good Wife, en étant une énième illustration) ; au minimum, le sériephile se rabat sur les DVD. Or les DVD édités ne sont pas cantonnés aux seules séries américaines, le net ouvrant la voie à des achats à l'autre bout du monde.

Aujourd'hui, la magie des technologies fait que ces frontières longtemps rédhibitoires ont depuis des années été virtuellement abolies, alors pourquoi est-ce si difficile de s'éloigner du seul giron anglo-saxon pour découvrir - émerveillé - qu'il existe des productions dans des contrées lointaines dont on aurait presque fini par se demander s'ils possédaient bien la télévision ? Aujourd'hui, la question se pose avec d'autant plus d'acuité face à tous ces pays qui deviennent de nouveaux acteurs sur la scène internationale (économique, etc.) : avec le développement d'une industrie télévisée ayant plus de moyens et la perfection de leur savoir-faire, ces petits écrans ne vont-ils pas gagner en légitimité et en qualité ? 

J'ai tendance à voir, dans le réflexe anglo-saxon de mon entourage, en premier lieu un problème de nouveauté : chronologiquement, cet accès facilité est récent. Il n'a été consacré véritablement qu'au cours de la dernière décennie. Les sériephiles adultes actuels ont grandi à un moment où tous ces moyens n'existaient pas et donc devant une culture télévisée dépendante et façonnée par les programmations des chaînes, donnant une perception du petit écran sans doute amplifiée par la qualité des fictions proposées alors. Sauf que si les réflexes de curiosité ne naissent pas forcément spontanément, rien n'empêche de les encourager.

Certains se réfugieront peut-être derrière une question de représentativité. Après tout, les personnes susceptibles d'être intéressées par ce brassage des cultures téléphagiques représenteraient seulement une minorité : un public de niche au sein d'un public lui-même de niche, donc trop infime pour être pris en compte ? Si je veux bien croire que les supposées démocratisation et popularisation de la mode "séries" ressemblent parfois plus à des illusions d'optique qu'à une réalité, je pense (naïvement?) que c'est une erreur d'imaginer immuable le monopole culturel existant. L'exemple fera sans doute sourire, mais récemment, je lisais un article sur la déferlante des séries sud-coréennes en... Roumanie, où elles dominent désormais les anciens programmes préalablement installés.

Parmi les causes pour rechercher les raisons de ce succès, un argument en particulier a retenu mon attention : la volonté des téléspectateurs de voir de nouvelles choses. Certes le petit écran roumain (que je ne connais pas) n'a sans doute pas le dynamisme américain, mais il reste cet appel à l'exotisme qu'offrent des séries ouvrant les portes d'une autre culture plus lointaine et avec laquelle on est moins familier. Quiconque s'est déjà lancé dans ce type de drama a forcément ressenti ce petit frisson d'excitation quand on saute le pas. Je ne dis pas que les k-dramas pourront un jour être diffusés sur une grande chaîne, mais seulement que le paysage sériephile n'est pas une fatalité et une donnée irréductible qui ne peut évoluer. Je pense même qu'il est vital, à un moment ou à un autre, d'y introduire des variations, au risque sinon de finir par'épuiser le schéma que l'on reproduit.

Cependant, parler de sériephilie sans frontière, c'est se heurter à d'autres obstacles plus pernicieux. Il faut aussi dépasser d'autres idées préconcues sur la télévision, celles-là mêmes qui sont entretenues par ceux qui, paradoxalement, prétendent défendre ce medium. Si on peut admettre que le téléspectateur ne va pas de lui-même s'ouvrir vers cet "au-delà" téléphagique, pourquoi est-ce que ceux qui sont supposés lui fournir les clés d'entrée dans cet univers ne se posent pas, eux, cette question de la télévision existant au-delà du pré carré confortable dans lequel ils ont pris leur quartier ? Si on veut vraiment construire la sériephilie, il est nécessaire et même vital de cesser cette compartimentalisation d'un autre âge qui ne peut, à terme, que s'essoufler. C'est dans la diversité que se trouvent le fondement et la réalité de tout art, et la pérennité de toute passion.

On ne peut pas en même temps défendre les fictions qui sont issues de la télévision - en décochant des accusations de snobisme à ceux qui médisent de ces "téléfilms" - et parallèlement déprécier par ignorance ou désintérêt toute une partie, importante quantitativement comme qualitativement, de ces productions. Certains journalistes, dont les articles ont pu me faire réagir ces dernières semaines, affirment promouvoir une télévision de qualité. Je ne doute pas qu'ils le pensent sincèrement. Mais en encourageant implicitement ou explicitement cette absence d'ouverture, ont-ils conscience du caractère improductif de la démarche ? C'est nuire au medium même qu'ils cherchent maladroitement à défendre que de se limiter ainsi.

J'ai la naïveté de croire qu'à la manière de tous les arts, cette notion encore jeune et si fragile qu'est la sériephilie devra apprendre à s'ouvrir pour grandir et acquérir sa pleine dimension, ainsi que des lettres de noblesse méritées. Il ne s'agit pas de renier les penchants naturels de tel ou tel téléspectateur pour telle ou telle télévision, mais seulement d'être prêt à envisager l'idée et à reconnaître le fait que l'on effleure seulement la richesse et la diversité du petit écran. Parce que parfois, devant certains articles pourtant rédigés probablement sans arrière-pensée, j'éprouve le sentiment désagréable que cette fameuse échelle de valeurs tant décriée, née des rapports oedipiens de la télévision et du cinéma, ce mépris sur lequel tant de sériephiles formulent tant de plaintes (légitimes), nous le reproduisons tout aussi naturellement et arbitrairement dans la hiérarchie subliminale que l'on pose entre les Etats-Unis et le reste du monde.


Peut-être suis-je naïve ou/et trop ambitieuse. Peut-être est-ce que je place dans cette passion des espoirs démesurés qui n'ont pas lieu d'être. Ne voyez dans ce billet qu'un exutoire désordonné de frustrations qui ont beaucoup grandi dernièrement. Je devrais sans doute cesser ces réflexions vaines sur mon rapport au petit écran. Je n'ai pas de perspective suffisante pour problématiser et prendre du recul sur toutes ces questions... Mais j'ai quand même le droit de rêver tout haut du jour où je pourrais vraiment et en toute légitimité avoir cette discussion sur l'adolescence dans les séries télé dont j'ai parlé plus haut. Est-ce utopique ?