Gene Sharp, vous connaissez? C'est quelqu'un qui vaut la peine d'être lu en marge des événements de Tunisie, Égypte, Libye, Yemen, enfin bref de tous les pays qui sont sur cette liste.
Alors qui c'est, Gene Sharp? A première vue, pas un type bien dangereux. 83 ans, une vie d'intellectuel que les journalistes vont photographier au milieu de ses livres. Mais, car il y a un mais, il se trouve qu'il écrit des guides pratiques pour la révolution non violente, qui ont été traduits en 24 langues et distribués gratuitement sur internet. Ah oui, et puis des formateurs du International Centre for Nonviolent Action se sont trouvé comme ça juste par hasard au Caire il y a quelques années, ils ont distribué sa documentation aux personnes intéressées. Oui, il devait y en avoir...
Interviewé récemment par le New York Times, il est parfaitement clair: il analyse et écrit, mais n'est pas à l'origine des mouvements qui pourraient s'inspirer de ses méthodes. Ses écrits aussi, d'ailleurs, sont parfaitement clairs. Ça vaut le coup d'oeil. La version française du plus célèbre, intitulé "De la dictature à la démocratie" se trouve ici. Quelques extraits:
"de dures réalités sont à considérer avant de s’en remettre à une intervention étrangère :
• Fréquemment, les puissances étrangères tolèrent et même soutiennent une dictature afin de faire avancer leur propre intérêt économique et politique.
• Certains iront jusqu’à trahir le peuple opprimé plutôt que de tenir leur promesse d’aider à sa libération, cela afin de poursuivre un autre objectif.
• D’autres agiront contre la dictature pour mieux maîtriser le pays aux plans économiques, politiques ou militaires.
• Les puissances étrangères s’investissent parfois de manière positive pour le peuple opprimé, mais seulement si le mouvement intérieur de résistance a déjà ébranlé la dictature au point d’attirer l’attention internationale sur la nature brutale du régime."
Et aussi:
"La conclusion est difficile à accepter. Pour renverser une dictature efficacement et au moindre coût, il est impératif de travailler à quatre tâches :
• Renforcer la détermination de la population opprimée et sa confiance en elle-même, et améliorer ses compétences pour résister ;
• Fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population opprimée ;
• Créer une puissante force de résistance interne ;
• Développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en oeuvre avec compétence.
(...)
Quand la dictature doit faire face à une force solide, sûre d’elle-même, dotée d’une stratégie intelligente, avec des actions disciplinées, courageuses et vraiment puissantes, elle finira par s’écrouler. Mais, au minimum, les quatre conditions énumérées ci-dessus devront être remplies.
(...)
Machiavel disait [déjà] que le prince « … qui a l’ensemble de sa population pour ennemi ne sera jamais en sécurité ; plus grande est sa cruauté, plus faible devient son régime."
Oui, on conçoit que certaines personnes trouvent ça dangereux...
Pour finir, bien sûr, le dernier chapitre est intitulé "Les fondations d'une démocratie durable". Sans doute le plus difficile, ça. Et ici plein de gens aimeront, parce qu'il y parle de la Suisse. Allez le lire, et ensuite dites-nous ce que vous en pensez...