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L'alouette d'octobre, de Bartolo Cattafi (par Claude Adelen)

Par Florence Trocmé

Cattafi Philippe di Meo aime la poésie difficile. Il vient de traduire Zanzotto (Phosphènes/ José Corti), dont je rends compte dans le numéro à venir d’Action poétique.  
Avec L’alouette d’octobre (paru en Italie en 1979) il porte à la connaissance du public français l’un des poètes transalpins les plus originaux du milieu du siècle dernier, Bartolo Cattafi, disparu prématurément l’année même de la sortie du livre. Son oeuvre s’étend sur une vingtaine d’années (en gros de 1955, Partenza da Greenwich, à L’allodola d’ottobre), une oeuvre inclassable, en marge des grands mouvements qui ont animé la poésie italienne de l’époque, une oeuvre, écrit Ph. di Meo « qui ne se rattachait pas non plus à une tradition identifiable ». Des poèmes, courts (très), qu’on ne peut cependant qualifier d’épigrammatiques, « délestés de toute ponctuation intermédiaire, précipités tout au long d’un abrupt escalier argumentatif constitués de rapprochement incongrus » et qui « s’éboulent littéralement vers leur point final. » (Ph.di Meo/ Postface) 
 
Quelques gestes ou paroles 
murmurées à peine 
paisibles regards de braise 
voilés par la cendre 
et dehors le grondement de la crue 
eaux arbres bourbe 
arrachés à quelque lieu 
ici déversés pour former 
une terre nouvelle une mer nouvelle  
 
Après un long silence de près de dix ans (1963-71) la poésie de Cattafi a connu une sorte de « révolution copernicienne » dont L’alouette d’octobre, « le plus incandescent, le plus abouti et le plus attachant de ses recueils » (Ph.di Meo) porte l’ultime témoignage. Son rapport à la réalité est devenu profondément symbolique, un symbolisme, pourrait-on dire, négatif, des images comme désincarnées et tout à la fois chargées de contrastes et de frémissements expressionnistes, comme prononcées d’une voix solennelle et lointaine, comme surgies directement du contact direct avec la mort, avec « la littéralité de la mort » ainsi que l’a noté G. Raboni : 
 
en arrière-plan s’agite  
l’imaginative mort

 
Philippe di Meo peut ainsi parler du « nihilisme ravageur de Bartolo Cattafi (...) l’un des plus désenchantés de la poésie de son siècle », ou mieux encore, de son « vitalisme désespéré », tant les poèmes semblent obsédés par le fugace, la chute « et une caducité irrépressible ».  
C’est une poésie atomistique, et le traducteur relève fort justement son rapport trop méconnu à Lucrèce. Une tendance à la spéculation abstraite nettement affirmée dans maints poèmes (« molles matières moléculaires, innombrables particules, immuables sombres composantes » etc..). Mais le rapport au réel est toujours sauvé (in extremis), par un sujet invisible, ou qui s’efface, ne laissant de lui qu’une « ombre dépareillée » qui, « vacillante » glisse « encore sur les murs/ égarée par les pièces » (A mon ombre)
Un sujet toujours capable, par un effort d’essentialisation stylistique remarquable, par une émotivité concrète (pensée et émotions sont ici inséparables), de rendre ainsi plus percutant, en même temps que nuancé ou dissimulé, le saisissement laconique du monde, les lieux, les objets concrets. Le poème cattafien peut ainsi (Ph.di Meo) être comparé « à une concrétion minérale exemplaire. A un caillou à peine équarri. Peut-être à un silex, tout aspérités coupantes et veinures chatoyantes ».  
Ou bien encore à un coquillage : « Pagure vagabond attiré / de demeure en demeure/ j’ai changé de si nombreux coquillages » : 
 
désormais immobile pour toujours dans ce coquillage 
- mes parties les plus poreuses tendues-  
dans la trouble lavasse environnante 
je me demande ce que j’absorbe et transmets 
 
je vis ici et voyage 
dans le flux haletant de l’osmose

 
Citons pour conclure les derniers mots de la postface : « Le vertige de l’instant mis en rapport avec l’éternité cosmique, la fugacité du tout, la brusquerie du soudain, la précision de l’éclair, est tout ce qu’il nous lègue. » 
 
Je ne sais comment on entendra cela aujourd’hui, trente ans après la parution de ce livre en Italie. Je voudrais seulement qu’on porte à son oreille ce sombre coquillage, et qu’on y écoute le bruit d’« une mer nouvelle ». 
 
Claude Adelen 
 
Bartolo Cattafi,  L’alouette d’octobre, rraduit par Philippe di Meo.  
Atelier La Feugeraie.(édition bilingue) 
 
Bartolo Cattafi dans Poezibao : 
bio-bibliographie, ext. 1 
D’autres extraits seront publiés la semaine prochaine, sur le site, dans le cadre de l’Anthologie permanente.  


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