La colère gronde dans le Wisconsin. Depuis une semaine, ce gros état industriel est en proie à une révolte contre son gouverneur, le républicain Scott Walker. En cause, la réduction des prestations sociales d’une grande partie des fonctionnaires, via l’augmentation de leurs cotisations retraite et santé, de 8 % en moyenne. Scott Walker entend ainsi combler le déficit budgétaire.
Mais ce qui a mis réellement le feu aux poudres, c’est que Walker, qui fait partie de la vague républicaine de gouverneurs élus en novembre dernier, a décidé en même temps de supprimer le droit des fonctionnaires au « collective bargaining », en clair aux conventions collectives, et d’empêcher ainsi les syndicats de négocier les hausses de salaire. Ce qui revient à annuler 50 ans d’acquis sociaux et affaiblit considérablement le rôle des syndicats.
Depuis une semaine, des milliers de manifestants se retrouvent donc tous les jours devant le Congrès de Madison, la capitale de l’État. Rien que samedi, ils étaient 68 000 avec des pancartes qui affichaient, sans peur du ridicule, « Hosni Walker », « Un dictateur au tapis, un autre à abattre », avec la photo de Walker à côté de celle de Moubarak… Ils ont même créé un site internet « Mini Mubarak » après que Scott Walker a menacé de faire appel aux gardes nationaux pour disperser les manifestants. Paul Ryan, un élu républicain, déclarait ironiquement : « Le Caire a migré à Madison. »
137 millions de déficit
Une comparaison absurde ? Pas pour Paul Krugman, le Prix Nobel d’économie, qui voit des similarités entre les deux révoltes. Ce qui se passe dans le Wisconsin n’est pas une histoire de rigueur fiscale mais de « pouvoir », explique-t-il. Walker et ceux qui le soutiennent essaient de faire du Wisconsin, et à terme de l’Amérique, « moins une démocratie qui fonctionne qu’une oligarchie du tiers monde ». Qu’on les aime ou pas, en attaquant les syndicats, on menace l’un des derniers « contrepouvoirs » face aux milliardaires et l’un des derniers défenseurs de la classe moyenne, ajoute-t-il.
Peut-être, mais les manifestations du Wisconsin font surtout penser à la Grèce. L’État, comme beaucoup d’autres, est confronté à un déficit budgétaire de 137 millions de dollars qui devrait grimper à 3,6 milliards en 2013, selon les estimations de Walker. Ce trou massif s’explique par la crise économique et la fin de l’aide publique du plan de relance économique, mais Scott Walker l’a aggravé en réduisant dès son arrivée plusieurs taxes. Le gouverneur assure donc que des concessions sont nécessaires, sinon il devra licencier 6 000 fonctionnaires. Les syndicats se disent prêts à faire des sacrifices sur leurs prestations sociales, mais pas sur la convention collective. Ce n’est pas la suppression des droits sur la négociation des salaires qui va sortir le budget du rouge, disent-ils. Ils accusent Walker d’être animé plus par des visées politiques que par un amour de la rigueur fiscale. Les pompiers, policiers et gendarmes, qui traditionnellement sont des électeurs de droite, sont comme par hasard exemptés de la mesure.
14 élus démocrates disparus
Jeudi, un nouveau rebondissement a aggravé encore le chaos. Les 14 élus démocrates du Sénat local ont tout bonnement disparu. La loi exige un minimum de 20 sénateurs pour voter une loi. Les 19 républicains, furieux, ont lancé à leurs trousses la police. En vain ! Les démocrates, cachés hors de l’État, ont fait savoir qu’ils ne reviendraient que lorsque le gouverneur serait prêt au compromis. Ce qui peut durer longtemps car Walker refuse de céder un pouce. « Nous sommes prêts à attendre le temps qu’il faudra », clamait-il sur Fox News. La bataille du Wisconsin est d’autant plus importante qu’elle risque d’avoir de grosses répercussions nationales. Beaucoup d’États comme la Floride et l’Ohio, dominés aussi par des républicains, ne rêvent que d’emboîter le pas à Walker. D’autres manifestations ont été organisées lundi dans l’Indiana.
Quant au président Barack Obama, il est dans une position délicate. Il a terriblement besoin des syndicats pour sa réélection, mais en même temps, il a appelé à des sacrifices et à une réduction de la dette fédérale. Ce bras de fer sur les coupes budgétaires est en fait une sorte de répétition de la crise qui s’annonce ces jours-ci à Washington sur les négociations du budget fédéral. Poussés par les Tea Party, les républicains à la Chambre ont voté 61 milliards de dollars de réductions budgétaires. Si les démocrates n’arrivent pas rapidement à un compromis, on s’achemine vers la fermeture pure et simple des organismes gouvernementaux. En 1995, le blocage sur le budget avait entraîné pendant cinq jours, à Washington, la fermeture de plusieurs ministères, services sociaux, musées, parcs, l’arrêt du paiement des salaires des fonctionnaires et une montagne de bouses d’éléphant au zoo, faute d’employés pour les évacuer !