Un sot du siècle dernier admirait la Providence qui, dans sa sagesse suprême, a fait passer les grandes rivières auprès des grandes villes. Ce sot-là, pareil à un aveugle qui tire à la cible et qui par hasard fait mouche, avait entrevu sans s'en douter une vérité économique d'une grande importance. Les cités populeuses et florissantes naissent près des fleuves ou de la mer. Il n'en est pas une qui ne soit assise sur quelque cours d'eau, sauf peut-être Berlin, qui n'ose montrer les flots noirs et le lit étroit de sa Sprée, sauf Madrid, qui a bâti sur son Mançanarès un pont plus long, en été, que la rivière elle-même.
Aussi, dès qu'il fut question du Niger, dès que les Européens eurent contemplé pour la première fois ses eaux imposantes, entendirent-ils parler d'une cité mystérieuse, qui baignait le pied de ses tours dans les flots du fleuve. Naturellement, les récits qui leur parvinrent étaient empreints de l'exagération familière aux races inférieures. Non seulement Tombouctou n'était pas située au bord même du fleuve 'elle en est éloignée d'une lieue, et c'est la petite ville de Kabra qui leur sert de port), mais encore le premier Européen qui y pénétra au prix de mille dangers, le français René Caillié, trouva une ville déchue, pauvre, sombre, mal bâtie. Les maisons étaient construites en boue séchée recouverte de chaume ; les rues étaient étroites, la vie silencieuse et renfermée : c'était une ville mourant d'une vieillesse prématurée. L'uniformité des constructions était à peine rompue par les minarets quadrangulaires, épais, massifs, terminés par quatre créneaux d'angle autour d'une guérite centrale, n'avaient rien de cette sveltesse, de cette ornementation, de cette hardiesse qui fait rivaliser les mosquées avec nos plus fières cathédrales gothiques.
Tombouctou passait, comme les capitales secondaires du mahométisme, comme Kairouan, comme Maroc, pour une cité fanatique et inhospitalière. Elle méritait cette réputation, si nous en croyons l'honnête et véridique Caillié, et tous les autres voyageurs comme Barth, qui ont failli y périr sous les coups d'assassins mystérieux.
La région qui entoure Tombouctou est déserte, nue, sans culture, sans habitants. La cité reine du Niger n'a pas de cour, et végète solitaire dans les souvenirs de sa grandeur.
L'extension de nos possessions sénégalaise vers le Niger peut être pour elle une promesse comme une menace. Le destin seul connaît le sort de cette ville, plus célèbre par son mystère que par ses attraits ou son originalité.
MEMOR - Article de Mars 1891 -
Je prends la peine de mettre la date de l'article, donc si certains propos vous choquent dans ces articles, vous m'en voyez désolée, mais ils ne sont pas de moi ! Ce blog s'appelle "dansletempsjadis" et je ne suis pas responsable de leurs façons de "parler" à l'époque ; cependant n'oubliez pas que ceux qui parlaient comme ça autrefois ont fait partis de vos ancêtres. Donc inutile de m'envoyer des mots désagréables à ce sujet.