Nous l’attendions avec un soupçon d’angoisse : voici le bilan détaillé 2010 de la sécurité aérienne, établi avec beaucoup de précision par l’IATA. Il est rassurant dans la mesure oů il confirme, chiffres ŕ l’appui, que les voies aériennes sont toujours plus sűres. En d’autres termes, voici que s’éloigne le spectre de catastrophes plus fréquentes parce que le trafic progresse, et progressera encore. Raymond Benjamin, secrétaire général de l’Organisation de l’aviation civile internationale, vient précisément de rappeler que le trafic atteindra 5 milliards de passagers par an en 2030, deux fois plus qu’en 2010. D’oů une obligation de bons résultats plus indispensable que jamais.
Toutes les craintes de la profession sont centrées de longue date sur de telles prévisions de trafic, au demeurant réalistes. En supposant que le niveau de sécurité se stabilise, ne s’améliore plus, en toute logique, le nombre d’accidents serait évidemment multiplié par deux dans les 20 ans ŕ venir. On l’a dit et répété, cette éventualité est évidemment inacceptable, tout simplement parce qu’elle jugée intolérable par l’opinion publique. Une remarque qui s’énonce en peu de mots mais qui suppose que des efforts considérables soient inlassablement déployés pour en arriver ŕ faire toujours mieux. Et cela en tenant compte du fait que cette męme opinion publique est profondément injuste dans sa maničre de lire et d’interpréter les statistiques.
L’IATA martčle, pas toujours avec succčs, la réalité chiffrée. L’année derničre, il y a eu un accident pour 1,6 million de vols, soit un taux de 0,61, ŕ comparer ŕ 0,71 en 2009. En 10 ans, les accidents ont reculé de 42% et il n’est donc plus question de la prophétie alarmiste d’un accident majeur par semaine longuement évoquée, discutée, contestée il y a une décennie de cela. Si nos souvenirs sont exacts, ce chiffon rouge avait été agité par Curt Graber, ŕ l’époque responsable de la sécurité des vols chez Boeing. C’est lui, soit dit en passant, qui a mené l’audit indépendant demandé par Air France ŕ un groupe d’expert, sans le sillage de la catastrophe du Rio-Paris du 1er juin 2009.
Au risque d’aligner de trop nombreux chiffres, il est utile, nécessaire, de souligner que le trafic de l’année derničre a nécessité 36,8 millions de vols, tous types d’avions confondus, jets et turboprops. Vingt-trois accidents graves, ayant fait 786 victimes, ont été dénombrés. Commentaire d’un expert qui a le sens de la communication : chacun de nous, ŕ supposer de prendre l’avion tous les jours, risquerait de perdre la vie …aprčs 4.491 ans. Une remarque de technocrate, certes, ŕ ne pas mettre entre toutes les mains, et certainement pas celles de proches de victimes.
Les statistiques de 2010 portent en elles de substantiels espoirs de nouveaux progrčs. Ainsi, on constate que 21% des accidents aériens se produisent au sol, un comble. Il s’agit d’incursions sur pistes, pour reprendre le jargon des professionnels, des collisions au sol en langage commun. Dans un tiers des cas, le fait que la piste soit mouillée est directement en cause. Les enquęteurs constatent aussi que les incursions et autres problčmes au sol suivent une approche finale instable. Autre constat, encore plus étonnant, 11% des accidents, trčs rarement mortels, ceux-lŕ, sont le fait de collisions entre avions ou avec des véhicules d’assistance. C’est-ŕ-dire de vulgaires accidents de la circulation !
Plus préoccupante, la disparité entre régions du monde reste criante. C’est aux Etats-Unis que les chiffres sont les meilleurs, avec 0,41 accident par million de vols, contre 0,45 en Europe et, triste record, 7,41 en Afrique. On note d’autre part qu’il est habituel d’exclure des statistiques les avions construits en ex-URSS, ce qui n’est sans doute pas une bonne idée. Plus important, précisément parce que les accidents sont rares, on est en droit de se demander si les calculs de sécurité peuvent servir ŕ autre chose que mesurer une tendance générale. Ainsi, les avions de conception soviétique, évidemment vieillissants, ont trčs mauvaise réputation mais, en 2010, ladite ex-URSS a enregistré zéro accident.
En revanche, il est avéré que les grandes compagnies, réputées les plus sérieuses, font mieux que les autres, un accident pour quatre millions de vol pour les membres de l’IATA. Il conviendrait d’ailleurs, au nom de l’objectivité la plus élémentaire, de faire entrer dans la męme catégorie les grandes low-cost, notamment Southwest, JetBlue, Ryanair et EasyJet, exemplaires. Au total, de bons chiffres, évidemment perfectibles, et le sentiment plutôt agréable de pouvoir les évoquer en toute liberté.
Pierre Sparaco - AeroMorning