Nous dirons que c’est l’histoire d’un fabuleux inventeur, enfin plutôt une fable historique, le récit romancé d’une vie pas du tout romantique.
Nous dirons qu’il s’appelait Gregor. Nous prétendrons qu’il n’a jamais existé, pour ne pas risquer un quelconque procès pour divagation.
Nous dirons que c’était un homme de l’ombre, un illuminé, un mégalomane exhibitionniste.
Une fois couché sur le papier Gregor est solide comme le pont de Maylis de Kerangal. On les jurerait aussi vrais l’un que l’autre. Question de documentation, d’angle de vue, de talent ou tout cela à la fois. Cette biographie n’est pas davantage conventionnelle que celle de Lennon par David Foenkinos. Et pourtant elle aussi jaillit, coule, enfle, se répand, emporte le lecteur qu’elle secoue et abandonne sur la grève au coucher du soleil.
Jean Echenoz est à l’aise avec les mots comme son héros avec le bricolage. Sa plume oscille entre scénario et didascalies, pratique l’incise avec acuité et nonchalance, lâche une formule familière quand on s’y attend le moins, faisant l’effet d’un cristal de tyrosine dans une bouchée de Beaufort d’exception.
La lecture est exaltante mais facile. L’écriture gouteuse ose des métaphores aviaires qui se faufilent avec audace. Le savant fou se brûle les ailes. Il est volé, pillé, pigeonné. On devine qu’il va finir épouvantail à moineaux ou dépecé par des corbeaux.
Jean Echenoz tient fermement d’une main Nikola Tesla alias Gregor, et nous de l’autre. Ensemble nous progressons dans le Manhattan noir et blanc du début du XX°. Le personnage joue son rôle sans faiblir. Maniaque, obsessionnel, surdoué en tout, sauf sur le plan affectif, rongés par les TOC, l’homme n’irradie aucune sympathie malgré des inventions du tonnerre : radio, radar, robot, rayon X ....
Il appert que lecteur reste donc entièrement libre d’apprécier la musique des mots, le swing de la syntaxe qui déploie les phrases au rythme d’une valse. Çà cogne, çà heurte, çà crépite, çà étincelle, c’est brillant.
Des éclairs de Jean Echenoz, , éditions de Minuit, 2010