Et si, pour une fois, les Français écoutaient un peu les entreprises et les entrepreneurs, au lieu des ministres ou des énarques ? Le MEDEF leur en donne l’occasion en publiant, comme il le fait tous les deux ans, son diagnostic sur l’économie française. À un peu plus d’un an des élections présidentielles, cela mérite en tous cas une certaine attention. Certes, le MEDEF n’en est pas encore au stade des propositions – cela viendra fin 2011 pour alimenter le débat présidentiel – mais un bon diagnostic est déjà la moitié du chemin vers la guérison. Le rapport du MEDEF a en tous cas le mérite de rappeler quelques vérités simples, souvent présentées ici même d’ailleurs. Son thème : c’est l’État qui plombe l’économie française.
Le taux de profit des entreprises au plus bas
Le principal maître d’œuvre de ce rapport du MEDEF sur l’économie française est le président de sa Commission économique, Pierre Nanterme, par ailleurs patron d’Accenture. Laurence Parisot lui avait suggéré d’être positif ; il est positif, mais réaliste, et le réalisme conduit à rappeler quelques bonnes vérités. La première vérité, c’est que les entreprises françaises manquent de compétitivité et que la responsabilité en incombe essentiellement à l’État.
Le thème cher aux médias et à la classe politique, c’est que les salariés ont une part de plus en plus petite du gâteau, tandis que les « gros » (les patrons) s’en mettent plein les poches. Chiffres en main, le MEDEF montre que jamais la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a été aussi importante : 67,7%, au plus haut depuis quinze ans ! La hausse est de trois points en dix ans. Cela signifie que la part du taux de marge est au plus bas depuis 25 ans, en dessous de 30% (29,8% exactement en 2009). Or ces taux de marge représentent avant tout une capacité d’investissement des entreprises. En Allemagne, ce même taux est à 40% !
Il faut avoir une vision naïve, voire marxiste, de l’économie, pour imaginer que cette somme va « dans les poches des patrons » : elle sert avant tout à l’investissement. Moins de marge, moins de profits, c’est moins d’autofinancement, donc moins d’investissements ou plus d’endettement.
La hausse constante des salaires et, pire encore, des charges sociales, n’est pas pour surprendre : le SMIC est sans cesse relevé et la Sécurité Sociale est en faillite. Mais où va-t-on à ce train ? Le MEDEF répond clairement : « La France est le seul pays où les rémunérations augmentent plus vite que la production, ce qui n’est pas soutenable à terme, sauf à affaiblir un peu plus la compétitivité des entreprises ».
Pourquoi a-t-on oublié la fameuse phrase du chancelier allemand Helmut Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les investissements de demain font les emplois d’après-demain » ? Pour ne vouloir l’admettre, la classe politique française condamne nos entreprises au sous-investissement, donc au sous-emploi. La propagande autour du « développement durable » fait oublier que nous avons une croissance friable.
Une moindre durée du travail
Il faut dire que les 35 heures sont passées par là et ont accru le coût du travail, en commençant par le SMIC. Or le MEDEF rappelle à juste titre qu’on travaille trop peu en France. La durée annuelle du travail est une des plus faibles ; le taux d’activité aux différents âges est aussi un des plus faibles : nous travaillons chacun moins longtemps et nous sommes proportionnellement moins nombreux qu’ailleurs à travailler. Le MEDEF calcule ainsi, pour synthétiser ces deux phénomènes, le nombre d’heures travaillées par habitant et par an (et non par salarié) : 622 en France, contre 701 en Allemagne, 721 dans la zone euro en moyenne, 853 aux États-Unis et 890 au Japon : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Là encore, la faute à qui ? C’est la gauche qui a créé les 35 heures et c’est la droite qui n’a pas voulu les supprimer. Et qui a poussé aux départs en retraite anticipés, l’un des éléments du « traitement social du chômage » pendant des années ?
Des prélèvements obligatoires trop lourds
Un autre facteur important de perte de compétitivité, souvent souligné ici même, vient de la fiscalité. À ce sujet, le MEDEF souligne à juste titre que le calcul habituel (prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB) a l’inconvénient de masquer, dans les pays à fort secteur public, les charges fiscales supportées par le secteur privé. L’organisation patronale suggère donc de calculer les impôts supportés par les entreprises par rapport à la richesse qu’elles produisent : 26,4% de la valeur ajoutée des entreprises. Reprenant une image souvent utilisée par Contribuables associés, mais pour l’ensemble des prélèvements, le MEDEF souligne que les entreprises travaillent jusqu’à mi-avril pour payer charges et impôts. Or en Angleterre elles ne doivent travailler pour l’État que jusqu’à début mars et mi-février en Allemagne. Dans ces conditions, comment se mesurer « à armes égales » à nos compétiteurs étrangers si l’État ne cesse de charger la barque ?
Autre présentation : les entreprises françaises versent 282 milliards d’impôts et charges. Si on leur appliquait les taux belges, elles n’en verseraient « que » 246 milliards, les taux espagnols, 220, les taux autrichiens, 198, les taux anglais 176, les taux allemands, 139 ! Nos gouvernants n’ont sans doute pas compris que les frontières étaient ouvertes et que nous étions en concurrence avec tous nos voisins. Tout au contraire la gauche ne cesse d’évoquer les « cadeaux aux entreprises », et tout le monde se scandalise des délocalisations.
Les seules charges annexes aux salaires ont progressé, depuis les 35 heures, de 10% en France et diminué de 9% dans le même temps en Allemagne. Et on s’étonne que les exportations françaises, qui représentaient 55% des exportations allemandes en 2000, n’en représentent plus que 41%. Les impôts et charges sont un mauvais produit d’exportation ! Le Figaro, qui souligne que la France ne cesse de perdre des parts de marché à l’international, en raison de ce manque de compétitivité, rapporte les propos du secrétaire d’État au commerce extérieur, Pierre Lellouche : « L’un des cœurs du problème, c’est bien sûr le système fiscal et social, avec le coût du travail en trame de fonds ». Vivement que M. Lellouche et ses amis au pouvoir mettent leurs actions en accord avec leurs paroles.
Vers un nouveau « besoin d’air » ?
On comprend facilement que le MEDEF, qui ne présentera qu’en fin d’année ses propositions, insiste déjà sur l’allégement des prélèvements sur les entreprises et sur la réduction du coût du travail. Il propose déjà une réduction de trois points des prélèvements obligatoires, soit environ 60 milliards de réduction des impôts et cotisations sociales.
Il est évident que cela passe aussi par la diminution des dépenses publiques et donc du périmètre de l’État. Mais le MEDEF sera plus précis dans quelques mois, en proposant quelque chose qui devrait ressembler à son « besoin d‘air », son livre programme de 2007. Certes, le MEDEF souligne que le projet de pacte de compétitivité proposé par l’Allemagne et accepté, semble-t-il, par la France, dont la Nouvelle Lettre et Libres.org se sont fait écho la semaine dernière, est un pas dans la bonne direction. Mais cela ne suffira pas.
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, qu’au moment où la plus grande partie du monde est en reprise sensible, en particulier dans les pays émergents, la France soit à la traine et ne profite pas de ce formidable appel d’air ? Le chiffre de la croissance 2010 vient de tomber, il a été révisé à la baisse depuis quelques semaines : on est à moins de 1,5% alors que toutes les projections publiques pour 2011 (y compris les masses budgétaires) ont été faites sur la base de 2% minimum. Avec plus de 3%, les Allemands auront eu une croissance deux fois plus forte que la nôtre, car ils sont capables d’exporter vers les pays émergents. Comment veut-on que nos entreprises tirent la croissance si on réduit drastiquement leur compétitivité par des charges sociales, fiscales et salariales parmi les plus fortes du monde ?
Ce que montre le « Cartes sur table » du MEDEF, c’est la responsabilité écrasante de l’État et des hommes politiques dans ce déclin de l’économie française : trop de dépenses publiques, trop d’impôts et de charges, un coût du travail excessif, un système éducatif délabré et inadapté. Qui dit mieux ? Pour l’instant, le MEDEF semble prêcher dans le désert, un désert où ne se risquent que quelques économistes libéraux politiquement incorrects.
Mais le MEDEF, courageusement, entend placer ces vraies questions au centre de la prochaine élection. Peut-il convaincre la classe politique ? La santé des entreprises, est-ce un argument électoral ? Le MEDEF fera tout pour qu’elle le devienne, il faut l’espérer.
Source : Contrepoints
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