Natasha Bedingfield, c'est un peu une popstar à part. Tout d'abord parce que, il faut bien l'avouer, ce n'est absolument pas une star, et ce malgré le fait, ô combien louable, qu'elle ait classé 4 singles dans le top 20 américain et 7 de l'autre côté de l'Atlantique. Et si elle est assez méconnue en France, ce n'est fort heureusement pas le cas aux Etats-Unis, où elle reste pour beaucoup "ah oui, la fille qui chantait
Unwritten" (chanson la plus diffusée sur les radios US en 2006). C'est d'ailleurs là qu'elle a, logiquement, continué sa carrière, quand le territoire européen a reçu de façon mitigé son second album, le pourtant créatif N.B.. Son 4e album (3e pour les Etats-Unis),
Strip me, partait donc sous de bons augures, Natasha ayant réussi, en 2008, à éviter la malédiction du one-hit wonder en poussant
Pocketful of sunshine dans le top 5 du Billboard Hot 100 ... mais quelques mois plus tard, force est de consater qu'il a fait un véritable flop, après deux singles pourtant excellents (
Touch &
Strip Me). Lumière sur un album qui méritait donc bien mieux.
Si je vous dit que je trouve que
A little too much commence un peu comme un classique de U2, vous vous esclaffez? Pas grave, j'assume. Ce mid-tempo est l'un de ces titres étranges qui vous rappelent immanquablement une autre chanson sans que vous sachiez mettre le doigt dessus. Son message: il n'y a jamais de "trop" en amour, et il vaut mieux aimer trop que ne pas aimer du tout, en gros. Natasha y montre toute l'étendue de son talent vocal (les sceptiques pourront toujours se refaire
sa performance (live!) à American Idol), étant tout aussi convaincante sur les envolées que sur les phrases presque murmurées avec la voix cassée ("I'd rather love just a little too much"). J'ai parfois envie de décrire Natasha Bedingfield comme une
Sheryl Crow qui serait devenue totalement pop, parce que vocalement c'est à ça qu'elle me fait penser ici. Autre point fort du titre: sa structure, qui va crescendo. On commence avec un beat un peu frémissant, léger, auquel viennent s'ajouter des notes de piano avant de monter puis monter jusqu'au refrain explosif, catchy au possible (et un middle 8 que ne renierait pas Coldplay!). Un single potentiel (si tant est qu'on en ait d'autres ...).
Est-ce qu'il y avait vraiment besoin de faire une sorte de remake du
Let it rock de Kevin Rudolf? La réponse est non. Est-ce que les bouts de refrain du titre original fusionnent correctement avec le nouveau refrain? La réponse est non aussi. Mais est-ce que le titre fonctionne et est-ce que les parties de Natasha créent une chanson différente de l'originale? Oui. C'est un peu le paradoxe de
All I Need, qui aurait vraiment mieux marché sans l'inclusion, un peu maladroite, des extraits du titre de départ. Non parce que le reste est vraiment bien, et la chanson en soi pas mal foutue. Les claquements de mains et la batterie du départ, soutenus par le beat électro, forment un joli contraste avec la voix plutôt douce de Natasha, avant un refrain plus pêchu et grave. Gros point positif avec les "let it roll, roll, roll, right off my back", qui nous feraient presque oublier oublier les "let it rock" originaux. En résumé, une bonne idée un peu gâchée par le sample trop présent.
Si j'avais du noter
Strip Me (le single) lors de sa sortie, au tout départ, il aurait sûrement récolté un 2 ou un 3 étoiles. J'avais l'impression d'entendre quelque chose de sympathique, mais de cruellement banal. Seulement voilà, le titre est un vrai grower. S'il peut au départ sonner comme une énième resucée des beats de Ryan Tedder (qui a produit le titre, vous l'aurez compris), on remarque au fil des écoutes son génie simpliste, notamment dans l'inclusion de choeurs presque religieux sur les couplets, et le côté délicieusement entêtant des refrains. On a beaucoup dit du titre que c'était un Battlefield bis; j'ai aujourd'hui envie de dire que c'est un Battlefield, mais en mieux, puisque Natasha y ajoute immanquablement sa touche un peu geek et moins gueularde. Les "la la la la la" simplissimes au possible font au final tout le sel de la chanson, qui rentre immanquablement en tête, et il est assez imparable que de jouer le côté acoustique ("stripped") sur les "If you strip me, strip it all the way". Un titre qui parvient à être grandiose et intime à la fois, et une réussite évidente.
Neon Lights a beau être lui aussi produit par
Ryan Tedder, il faut avouer que le titre n'a pas grand chose à voir avec ses productions les plus connues, lui. On est dans un registre bien plus acoustique, organique, très soft et sans fioritures (le refrain par exemple ne comporte aucune grande envolée, se contentant - astucieusement - de jouer sur la force de son texte ô combien fédérateur). Il y a certains élèments presque folk dans la chanson (ce beat étrange qui donne l'impression d'être en pleine promenade équestre dans la nature!). S'il fallait un single pour redresser la barre, on aurait envie de parier sur ce titre, simplement parce qu'il joue sur la force de Natasha (son côté accessible, simple et optimiste) tout en restant une chanson pop délicieuse, qu'on se verrait bien reprendre avec un ukulélé (pas celui de Iz, NON) au coin du feu, en tapant du pied avant de s'endormir sous les étoiles. C'est vraiment l'esprit du titre, comme une ballade au printemps alors que tout recommence à fleurir et que ça sent l'herbe fraichement coupée. Un petit bijou tout en légèreté.
Weightless est, dès les premières notes et de façon plutôt claire, le Unwritten / Pocketful of sunshine de cet album, l'hymne optimiste et jovial où Natasha réalise une performance vocale à la fois forte et fragile. Au niveau du texte, ça rappele facilement
Unwritten,
Happy ou
Pocketful of sunshine. L'idée, en gros, c'est que dans ces moments où le monde exerce un poids sur nos épaules, quand on se sent perdu dans la masse ou incompris, il faut relever la tête et se sentir léger (plus ou moins "weightless", donc) et se laisser porter par le vent, pour être libre. Sûrement cheesy au possible, certes, mais il y a comme toujours une sorte d'honnêteté naïve dans les mots de Natasha, qui deviennent alors étonnamment percutants et touchants - du moins pour moi. Que dire du refrain presque a-capella, atout quasi-toujours gagnant dans une chanson. Si l'on devait faire une analogie, on aurait envie de rapprocher le son général de cet album à ce qu'avait fait
Nelly Furtado avec
Whoa ... Nelly!, son premier album, certes ici en plus commercial. Il y a ce sentiment de légèreté sans être trop neutre, cette sensation d'écouter quelque chose qui soit à la fois acidulé et apaisant, sans gros beat électronique en renfort.Et la version acoustique, en fin d'album, est encore meilleure.
Can't Fall Down est la première vraie ballade de l'album et, dès les premières notes, installe une atmosphère qu'on a envie de qualifier de nocturne et de vaporeuse. C'est justement dans les titres plus lents qu'on apprécie le mieux la voix un poil cassée de Natasha Bedingfield (un peu comme P!nk), qui s'éraille sur certaines fins de phrases. La chanson parle de savoir affronter les épreuves, et le narrateur indique ici qu'il préfère rester allonger plutôt que de devoir encore souffrir, et que s'il / elle reste allongée, alors (logiquement) il / elle ne peut pas tomber plus bas. Si le thème en soi est relativement glauque, la production (écoutez les notes discrètes qui ressemblent à de légers tintements de cloche sur les ponts et les refrains) et les "wo-oh-woa-oh" qui reviennent de temps à autre insufflent beaucoup de vie à la chanson. On retient aussi le refrain final, avec le superbe "somehooow", qui, sans trop pousser une fois encore, parvient à appuyer là où ça fait mal - et on en redemanderait presque.
Le pêché de
Try, c'est d'être trop basique. Si le texte n'est pas totalement risible (bien que convenu, j'avoue), la production manque réellement d'ambition et d'originalité pour ne pas tomber dans le pathos écoulé de "la ballade au piano qui raconte des trucs tristes". On s'attend trop à entendre les violons débouler sur le refrain, la voix s'emporter; cependant on peut être convaincu par l'interprétation, même si Natasha ne fait que réitérer ce qu'elle a déjà fait - en mieux - sur d'autres titres (voix cassée et émue etc ...). C'est dommage, justement parce que jusqu'ici, l'album s'évertuait à éviter les raccourcis, les titres trop faciles et convenus. Et
Try est malheureusement bien trop convenu pour nous impressionner. On lui pardonne, vu ce qui arrive après.
J'ai déjà parlé de
Touch en long, en large et en travers dans
l'article que je lui avais réservé, après ma toute première écoute, et je me contenterai donc de lister tout ce qui fait de cette chanson une très jolie trouvaille pop. Ce qu'il faut en savoir, malgré tout, c'est que c'est un peu un
ovni au coeur de l'album, puisque c'est sûrement le titre le plus radio-friendly (qu'attend-elle pour le lancer en Europe?) et le plus facilement produit (très actuel, avec bien plus de "boom boom cha
ba da vocoder") que tout le reste de l'album. Mais pour ces moments de batterie énervée avant les refrains (que vous pouvez reproduire sur votre tableau de bord, en voiture), ces refrains surpuissants, ces couplets rapides et qui nous raconteraient presque le scénario d'une comédie romantique niaise mais ô combien savoureuse, et surtout pour ce middle 8 façon "la musique s'arrête avant de reprendre tout doucement", le titre acquiert ses lettres d'or. Et que dire de ces dernières 34 secondes, très jolies, qui ne laissent pas une impression de bâclé désagréable.
Thumbs up.
Puisqu'on a commencé l'analogie avec Nelly Furtado, le tout début de
Run run run sonne étrangement comme I'm like a bird. Je n'en dirais pas plus. Le titre, qui montre une facette un peu plus sombre d'une Natasha qui sonne moins joyeuse et insouciante, a le mérite d'avoir un refrain qui, s'il est parfois un peu répétitif, est hyper entêtant. Ma seule critique, c'est que le titre, mid-tempo pop-électro sans prétention, semble un peu trop produit. Je me souviens d'en avoir entendu
la version acoustique bien avant la sortie de l'album et d'avoir été immédiatement happé par la mélodie, qui ici perd un peu de son charme car noyée sous un peu trop de beats et de claps, et le "woo-o-o, o-oooh" un peu trop redondants, pour le coup. Néanmoins, c'est un titre qui s'écoute sans déplaisir, et qui, s'il peine à s'imposer vraiment comme un de nos coups de coeur, possède sûrement le refrain le plus catchy de l'album. Je valide aussi les "yes I can run" criés en arrière plan sonore sur la toute fin du titre, jolie addition.
On avait entendu parler de la fameuse collaboration entre
Kleerup (With Every Heartbeat, c'était lui) et Natasha, et on attendait, doigts croisés, que celle-ci se retrouve sur l'album. C'est chose faite, et avec la manière, qui plus est.
Break thru est donc un titre totalement électro-pop qui a le mérite, à la différence d'un titre comme
Touch, d'être parfaitement en cohésion, soniquement parlant, avec le reste de l'album. C'est très organique, soft sans être mielleux, fort sans taper sur les nerfs. Le changement s'opère au niveau de l'ambiance, assez aérienne mais presque tribale, comme une
jungle une nuit de brouillard, avec l'apparition ici et là de bruits, comme les murmures des animaux dans la forêt tropicale (écoutez attentivement les tintements apparaitre de1:20 à 1:25, puis sur le second refrain; ensuite le violon s'invite lors du middle 8, en prenant de plus en plus d'importance; puis le beat gagne en vitesse, et tout s'envole). La fin est définitivement le point d'orgue de la chanson, qui pourrait rappeler le
Longing for lullabies de Kleerup. Ces "I'll do whatever it taa-aa-aakes" vous briseront le coeur, on vous l'assure.
No Mozart revient à des sonorités plus douces, alors qu'on s'approche de la fin de l'album. Le rythme commence au piano, pouvant nous laisser croire que l'on écoute une ballade - même si on sent de suite une sorte de positivité ambiante. Puis, le couplet démarre, avec des petits riffs de piano astucieusement placés en fins de phrases, pour accentuer le côté presque classique du titre (ce qui sera encore souligné dans le middle 8), avec une certaine légèreté que j'apprécie beaucoup. Le refrain est volontairement euphorisant et explique que, peu importe ce que vous faites, et peu importe si vous ne le faites pas parfaitement ("comme
Mozart au piano"), du moment que ça vient du coeur. Ah, cette bonne vieille Natasha, toujours le coeur sur la main! On passera sur le possible côté cu-cul, puisqu'on a vraiment envie de croire dur comme fer à ce qu'elle raconte, surtout quand elle s'énerve ("WHEEERE-TO-GO" / "PLAAAAAYIIIIIN' THE PIAAAAAANO") parce que c'est quand même assez magnifique. Classique, donc, mais 100% maitrisé.
En évitant soigneusement les pièges tendus devant lui (et les écueils subis par
Try),
Recover est une jolie ballade qui clôt l'album sur une note positive ("we will recover" = "on s'en remettra"). Et même si c'est un peu le titre typique qui termine un album (la ballade de conclusion est un grand classique dans le monde de la pop), il se rachète par son middle 8 qui parvient à grimper en émotion et en intensité sans avoir besoin de rajouter un choeur ou des violons stridents - bon point. On amorce en douceur avant de laisser les sentiments éclater. Preuve aussi qu'il suffit d'un piano, d'une jolie voix pour sublimer le plus basique des titres. Et même si on en veut un petit peu à Natasha de ne jamais avoir réussir à nous donner une aussi jolie ballade que
Wild Horses, dans son premier album (
vrai bijou) et que ce
Recover manque un peu d'envergure et/ou de véritable punch qui le rendrait divin, on prend sans sourciller et on apprécie.
En conclusion donc, c'est un album pop cohérent que livre Natasha, et qui semble bien moins fait à la va-vite que
Pocketful of sunshine, qui jouait un peu trop sur la répétition d'une recette pop éprouvée (ce qui ne nous a pas empêchés d'adorer à peu près 87% de ses titres, soit). Elle a pourtant l'air d'avoir "the whole package": elle est jolie, chante très bien, écrit ses textes, est blonde et réalise bien souvent de jolis clips, mais ce qui manque à Natasha, selon moi, c'est qu'elle n'est pas faite pour être une de ces stars à la
Lady Gaga ou à la Rihanna, voilà tout. Elle évite toute thématique plus ou moins scandaleuse, ne parle pas de sexe "pour vendre" (son titre
Size matters prenait justement les choses à contre-pied avec beaucoup d'humour et d'intelligence), reste fidèle à sa marque de fabrique, à sa façon de faire les choses en catimini et sans réellement chercher le
buzz. Il lui manque le glamour glacé des stars dans les magazines. Et dans un sens, tant mieux. Natasha Bedingfield, c'est la chanteuse qui a l'air accessible et honnête, et qu'on croirait sur parole quand elle débite avec un sourire jusqu'aux oreilles que la vie, c'est trop bien. Dans cet album harmonieux, empli de son organiques, naturels, florissant un peu partout, elle laisse le champ libre à son atout numéro 1: sa voix. Natasha aura eu le mérite de s'en tenir à son concept, qu'elle évoque dans le livret de l'album:
...J'ai appelé cet album Strip Me parce que musicalement, c'est plus simple, moins désordre. Son thème, c'est être vrai, parvenir à laisser de côté toutes ces choses qui paraissent si importantes mais qui ne le sont pas. Je veux écrire et vivre d'une façon qui serait légère, comme en apesanteur. Tant de choses dans la vie nous abattent, nous écrasent, deviennent des fardeaux, nous grignotent, mais on ne peut pas laisser ces choses voler notre espoir et notre liberté. Même si tu perds toutes les choses qui te faisaient te sentir en sécurité, rien ne peut te retirer le pouvoir de ta voix, ou la magie de ce que tu es. Chaque personne est unique.
...Mission réussie, donc. Et si le tout manque de vrais "tubes" comme on entend des dizaines à la radio, tant pis. On pourra sans problème se contenter des gentilles petites chansonnettes naïves et faciles de Natasha pendant toute une vie, simplement parce qu'elles ont le mérite assez basique de nous faire sourire ou de nous rendre heureux. C'est pas ça, la vie, justement? Et longue vie à l'artiste, donc, en espérant qu'elle ne change pas de sitôt. Et une jolie seconde vie à l'album, qui devrait sortir en Europe ce printemps.
Natasha Bedingfield • Strip Me