[...] La voix s'est tue sur la barque sombre qui continue d'errer par le dédale des canaux. La voix s'est tue, puis elle recommence son chant moqueur et passionné. Parfois la péotte s'arrête et nos gondoles se rapprochent. Il y a , à Venise, des carrefours d'eau où les canaux se croisent et forment des places marines. En voici une où nous faisons halte. La voix charmante y résonne et y répète les charmantes mélodies qui s'appellent la
Biondina in gondoletta ou Avvertimento, et celle qui commente des vers de Pagello et celle qui s'intitule La nott'è bella et qui se termine par une longue plainte toute orientale où s'expriment toute l'étendue et toute la mélancolie de la lagune, et cette autre, si gaie, si vive et dont le refrain semble soulever son masque pour montrer l'éclat, si jeune, de son rire. Chacune d'elles est un peu de l'âme de Venise, de la Venise du Carnaval, de la Venise d'autrefois, de la Venise de jadis, celle d Musset et de George Sand, la romantique à laquelle nous nous étions promis de ne pas céder et à laquelle nous nous abandonnons en cette douce nuit de rêverie et de musique.[...]
Henri de Régnier, L'Altana ou La Vie vénitienne, 1899-1924
extrait de la sérénade de Reynaldo Hahn, dans Venise entre les lignes , Musique et sérénades