« Vingt-cinq ans plus tard, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les municipalités de toute l’Europe se sont emparées des idées de Le Corbusier et de ses disciples modernistes parce qu’elles offraient une solution peu coûteuse à la pénurie chronique de logements. A vrai dire, elles n’ont pas réalisé les dessins de Le Corbusier. Leurs constructions ne comprenaient pas tous les détails qu’il avait intégrés à la tour qu’il avait bâtie dans le sud de la France. Cependant, durant une vingtaine d’années, d’innombrables caricatures laides et bon marché de ses « villages verticaux » ont poussé dans le ciel de l’Europe, la plupart en « préfabriqué », c’est-à-dire par assemblages de panneaux de béton tout prêts, levés et mis en place par des grues. Ces tours étaient conçues comme des « cités », comprenant souvent un centre commercial, lui aussi en blocs de béton. Ces commerces étaient reliés aux tours par de larges avenues souvent traversées d’espaces verts. A la fin des années 1960, rien qu’au Royaume-Uni, 470000 nouveaux appartements de ce type avaient été construits ainsi, très peu par des architectes, mais la plupart par des ingénieurs. Ils représentaient le produit déprimant de la vision complexe et ambitieuse de Le Corbusier – c’étaient en réalité des « machines à habiter » faites entièrement par des machines. Mais très vite, ces villes « modernes » et « nouvelles » ont perdu leur air de modernité pour devenir infernales.
J’ai consacré beaucoup de temps et d’efforts, durant les années 1980 et au début des années 1990, à tenter d’attirer l’attention sur les problèmes que représentent ces cités sans âme. Ce qui me préoccupait, c’était le fait que beaucoup de gens logés dans ces culs-de-sac de béton découvraient qu’alors que leur nouveauté s’estompait et que les espaces verts devenaient ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire désolés et dangereux comme des terrains vagues, ils vivaient en fait dans des lieux qui leur enlevaient tout sentiment d’appartenance à une communauté, et encore plus à la Nature. Ces cités sont souvent devenues des ghettos violents et inhumains, sans plus de beauté et de nombreux pays se débattent encore avec les problèmes qu’ils créent.
Même là où le sentiment communautaire est plus fort, il me semble que, trop souvent, cette approche de l’urbanisme défigure le paysage urbain. Les écoles et les universités, les hôpitaux, les supermarchés et les centres commerciaux sont trop souvent construits en béton et en acier, sur des plans tous semblables, ce qui crée des lieux uniformes, débilitant ainsi le sentiment de bien-être commun parce qu’ils font fi de la grammaire ancestrale et organique de l’harmonie. »