Les dernières remises en cause du système judiciaire par le Président de la République ont créé ces derniers jours un réel émoi dans la profession. L’affaire de Laetitia Perrais notamment, qui a beaucoup choqué l’opinion publique, a provoqué des réprimandes à l’égard des magistrats et de notre appareil juridique dans son ensemble.
Chaque histoire macabre relatée par la presse et parfois même relayée par les pouvoirs publics alimente le sentiment de la nécessité de réformer notre Justice. C’est dans cet esprit, que certaines mesures ont été souhaitées ou annoncées : la majorité pénale à 16 ans désirée par M. Estrosi, les jurys populaires et la participation des citoyens dans les décisions de libération conditionnelle plébiscités par le Président. Mais que pensent nos compatriotes de ces mesures et quel regard portent-ils sur leur justice ?
UN NIVEAU DE DEFIANCE QUI S’ACCROIT
Ces faits divers dramatiques s’accompagnent d’une augmentation du niveau de défiance vis-à-vis de la justice. D’après un sondage Ifop réalisé entre le 9 et le 10 février pour Le Figaro, seuls 55% de français font confiance à la Justice. En 2008, dans un autre sondage Ifop réalisé pour le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ils étaient 63%. Cependant on observe que, déjà à l’époque, cette institution bénéficiait de scores de confiance inférieurs à ceux d’institutions comparables : Les hôpitaux, l’armée, l’école, la Police.
Dans ce contexte, lorsque le Président déclare que, grâce aux jurés populaires, « le peuple pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays », l’annonce suscite l’adhésion à droite comme à gauche : 68% des français se déclaraient favorables à la création de jurés populaires d’après un sondage CSA pour le Parisien Aujourd’hui en France. En février 2011, dans le même esprit, ils sont un peu moins des 2/3 à souhaiter que les citoyens participent aux décisions de libération conditionnelle (64%).
Les français plébiscitent, en adhérant aux projets de jurés populaires et de présence de citoyens lors des libérations conditionnels, une justice où le suspect et l’accusé seraient soumis en partie à la décision populaire. Par ailleurs, ils sont plus des 2/3 des français à souhaiter que les victimes puissent faire appel lorsque la peine prononcée est jugée insuffisante (68%) selon un sondage réalisé par CSA pour l’Institut pour la Justice. Bien sûr, énoncé comme tel, cela paraît légitime, mais dans les faits, à l’aune du préjudice, les peines paraissent bien souvent dérisoires qu’elles soient proportionnelles ou non. Ils sont également plus de la moitié à désirer que la victime puisse faire appel d’une décision de remise en liberté anticipée (55%).
LE MANQUE DE MOYENS : UN POINT DE CONSENSUS ENTRE LA JUSTICE ET LES FRANCAIS
Le système judiciaire ne veut pas être le bouc-émissaire et s’insurge contre le manque d’effectifs (magistrat, agents de probation…). A cet égard, une étude réalisée par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, parue en octobre 2010, donne à voir les différences de budgets alloués et d’effectifs entre un certain nombre de pays européens. Allemands, Espagnols et Polonais entre autres, dépenseraient plus du double en terme de % de PIB que la France pour leur appareil judiciaire. Le constat est le même en ce qui concerne le nombre de magistrats rapporté au nombre d’habitants.
Nos compatriotes aussi se plaignent du manque de moyen dédié à cette institution. Plus des ¾ des français estiment que la Justice ne dispose pas de moyens suffisants (77%). Et d’après 4/5 d’entre eux la raison pour laquelle les condamnés évitent d’exécuter leur(s) peine(s) s’expliquent par des dysfonctionnement structurels : respectivement 50% et 30% des français estiment que cela tient plus du manque de place dans les prisons et du manque d’effectifs des magistrats que de la mentalité des juges (17%).
LE DIVORCE EST-IL CONSOMME ENTRE LA JUSTICE ET NOS COMPATRIOTES ?
L’aptitude et la formation des juges n’est pas en cause
Les juges bénéficient, de manière générale, d’une image particulièrement bonne auprès du grand public. Ils sont perçus comme compétents, respectueux de la loi et du secret professionnel, bien formés, intègres et honnêtes par plus des ¾ des français. Le CSM, quant à lui, composé de juges et de non juges, est un organisme dans lequel, plus des ¾ des français ont confiance.
Mais les français ont le sentiment que la justice n’est pas suffisamment sévère
La majorité des français sont contrariés par les décisions des juges qu’ils jugent trop peu sévères, selon un sondage CSA réalisé pour LCI (51%). Le sondage de l’Ifop de février 2011, quant à lui, nous informe que plus de 80% des français ont le sentiment que les jugements et peines prononcés par la justice pour ce qui est de la récidive, des crimes sexuels et des affaires politico-financières ne sont pas suffisamment sévères.
Pourtant, à l’inverse de l’idée véhiculée par les faits divers et les annonces de réformes – qui bien souvent tendent vers un seul et même objectif : une sévérité renforcée -, les condamnations auraient tendance à se durcir. D’après une étude réalisée par La Croix auprès de cinq cours d’assises, « en vingt ans, les peines de prison se sont considérablement allongées. Le nombre de condamnations à plus de 10 ans de réclusion a fait un bond impressionnant. »
Au vue des décalages entre les idéaux de la Justice et les considérations français, il semble important que le ministère de la Justice, le CSM et les instances représentatives des professions de la justice s’interrogent sur les valeurs et les fondations du fonctionnement de l’appareil judiciaire. Tout comme, il apparaît nécessaire d’entamer un travail de sensibilisation mais également de réflexion avec les français, afin de redonner du sens à l’action judiciaire.