Je ne saurais trop vous conseiller d'aller voir Le discours d'un roi.
Il fait partie de ces films qui vous laissent une empreinte plus qu'un souvenir. De ces films dont on garde une émotion, un ressenti, et qui vous obligent à en parler autour de vous, à tenter de convaincre vos collègues, vos amis, Tatie Germaine et la boulangère d'aller les voir.
Quelle est l'histoire ? Elle est en apparence très simple : c'est un homme qui va voir un thérapeute pour son bégaiement. Comme il est Altesse royale (le bègue, pas l'orthophoniste), ça le gêne beaucoup dans son métier. On pourrait rester indifférent (il est bègue, so what ?), sarcastique (comme quoi, les aristos aussi ont leurs problèmes), moqueur (il ferait un bon roi des bègues) et pourtant il n'en est rien.
Dès les premières minutes du film, on est en complète empathie avec le personnage. Sa première apparition donne le ton de la suite : contraint et forcé de faire un discours, le malheureux arbore une tête de condamné amer. Il sait que ça va être un massacre mais il n'a pas le choix. Il gravit des marches escorté de familiers et d'officiels, bourreaux involontaires bourrés de bonnes intentions ; sa femme tente de le réconforter, encore quelques marches à l'air libre ; le micro est là, énorme et fatidique au milieu de la tribune de Wembley.
C'est là que l'on commence à l'aimer, ce prince de Motordu qui n'en peut mais. On est avec lui, on voudrait tant que les mots sortent, on se tortille sur son fauteuil, on souffre pour lui pendant que les flegmatiques et loyaux sujets pouffent devant cet handicapé du verbe.
Les années passent et le bégaiement reste. On retrouve Son Altesse Royale aux prises avec des charlatans qui lui font bouffer des cailloux, il finit par vomir les uns et les autres. Jusqu'à la rencontre avec le thérapeute providentiel, aussi peu respectueux de l'étiquette et des conventions que son patient en est prisonnier.
Mister Logue, mais appelez-le Lionel, va devoir percer la carapace de convenances, de protocole, d'éducation rigide qui emprisonne son royal impatient, pour trouver des petits bouts d'homme en-dessous, cet homme qu'il refusera d'appeler autrement que Bertie.
Le film ne s'attarde pas outre mesure sur les causes du bégaiement (aussi incredible et shocking que cela paraisse, Bertie a eu une enfance malheureuse), évitant à ma grande satisfaction de sombrer dans le pathos, ni dans une démonstration de la méthode du professeur Shmourf pour transformer les bègues en chanteurs d'opéra. L'enjeu du film est ailleurs, l'émotion aussi. Elle est dans cette évocation des blessures cachées de ces deux hommes que tout oppose ; ils ne sont pas du même monde - à tous les sens du terme. L'un est roturier, l'autre est appelé à devenir roi. L'un est anglais, l'autre est australien. L'un est bègue et va devoir apprendre son rôle de roi. L'autre connait tout Shakespeare, mais ne jouera jamais la tragédie. L'un se rêve en roi Lear, l'autre ne rêve que de pouvoir lire.
Car il s'agit au final d'un ballet à trois entre le roi, l'orthophoniste et la TSF, personnage omniprésent, mais véritable enjeu du film, arme dans la guerre qui s'annonce et qui crée une part non négligeable du ressort dramatique. Car Bertie, sorry, Sa Majesté Georges VI, ne pourra pas échapper au trône après l'abdication de son frère Edouard VIII, et devra incarner la voix de l'Angleterre et de l'Empire face à un Hitler qui ne mâche pas ses mots.
L'ensemble, ce qui ne gâche rien, est relevé par un humour so british et un final mis en musique par Beethoven. Une brochette d'acteurs tous plus excellents les uns que les autres portent le film, Colin Firth en tête. Pour être tout à fait franc, je trouve ce type tout simplement épatant. Capable de jouer dans Bridget Jones comme d'incarner Vermeer dans La jeune fille à la perle, il fait ici un bègue émouvant sans caricature ni affectation, un homme tout simplement, avec ses qualités, ses défauts, son enfance, son histoire, ses contraintes.
Un homme avant tout.