La bonne performance des marchés actions des pays émergents ces dernières années a aiguisé l’appétit des investisseurs. D’abord attentifs aux pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), ces derniers ont désormais l’œil rivé sur d’autres marchés comme le Koweït, le Qatar, le Sri Lanka, l’Estonie ou encore le Nigeria. Des marchés financiers dits pré-émergents – ainsi baptisés parce que leur développement économique, quoique rapide, en est encore à un stade antérieur. Ils n’en sont pas moins considérés comme les futur pays émergents.
Pour mieux comprendre ces marchés, considérons d’abord la situation des pays émergents. Le fait que la Chine ait ravi la place de deuxième économie du monde au Japon en 2010 a largement été interprété comme le reflet de l’extrême rapidité avec laquelle les rapports de force économiques vont évoluer au XXIe siècle. L’Inde et le Brésil, nouvelles grandes puissances économiques, contribuent, de leur côté, déjà de façon significative à la croissance économique mondiale.
En 2011, cette dynamique positive devrait se poursuivre dans les pays émergents – surtout dans l’espace asiatique, actuellement caractérisé par la solidité de ses finances publiques, sa forte croissance économique et le faible endettement de ses ménages. Un développement démographique favorable vient encore embellir les perspectives de cette région. Suite à la forte croissance économique de ces dernières années, une nouvelle classe moyenne a vu le jour en Asie. Qu'il s'agisse de voitures, de biens immobiliers ou de biens de consommation plus sophistiqués, un nombre croissant de consommateurs peut désormais se permettre, pour la première fois, de telles acquisitions. Ce développement offre des possibilités insoupçonnées jusque-là, surtout aux entreprises locales. L'investisseur bien informé se trouve donc face à des marchés boursiers aux valorisations séduisantes. La croissance des pays émergents en Asie et ailleurs a en outre entraîné une forte augmentation de la demande en matières premières, qui avait chuté durant la crise financière.
Cette montée des pays émergents ne cesse de faire des émules car un nombre croissant de nations - les marchés pré-émergents évoqués plus haut - cherchent à développer leurs économies nationales sur ce modèle. Ils se trouvent ainsi aujourd'hui dans la situation des marchés émergents des années 90. Pour s'orienter sur ces marchés, les investisseurs en actions s'appuient sur les indices, puisqu'ils sont censés refléter de manière représentative l'univers de placement. Pourtant l'indice MSCI Frontier concentre actuellement plus de la moitié des actions qui le composent sur seulement trois pays : le Koweit (33,19%), le Qatar (11,36%) et les Emirats Arables Unis (10,19%). La pondération sectorielle y est également mal proportionnée : plus de la moitié des valeurs de l'indice sont issues du secteur des finances. Les télécommunications y pèsent, de leur côté, environ 20%. Cela alors que l'industrie, elle, ne représente que 10% à peine de l’indice. Cela montre que de nombreux secteurs attrayants des marchés pré-émergents – par exemple l’énergie – ne sont pas encore ouverts aux investisseurs, car ils demeurent encore aux mains de l’Etat et ne sont donc pas cotés en bourse. Toutefois, la situation devrait s’améliorer à l’avenir, ce qui devrait permettre de diversifier les possibilités d’investissement sur ces marchés.
Les perspectives de croissance des marchés pré-émergents dépendent fortement de la croissance de leurs homologues émergents et de l’appétit de ces derniers en matières premières. Ces prochaines années, cette demande restera soutenue. Certains marchés pré-émergents offrent également un potentiel de croissance domestique, car leur population, jeune et nombreuse, voit leur richesse croître lentement, alors que le marché de la consommation y est encore à ses balbutiements. Mais cette croissance ne se manifestera qu’au fil du temps.
Les investisseurs sur ces marchés devront donc faire preuve de patience et avoir les nerfs solides. Ils doivent aussi savoir que les institutions politiques y sont encore fragiles, ce qui augmente d’autant le risque des placements dans ces pays.
Les placements sur les marchés pré-émergents s’adressent aux investisseurs désireux de se constituer des positions au-delà des pays émergents – à risque accru, mais en échange d’un potentiel de rendement plus élevé. Un tel investissement doit se concevoir dans la durée car il peut rester longtemps sans rendement. Il faut parfois attendre plusieurs années avant de le voir fructifier et il faut pouvoir supporter des corrections de cours passagères, parfois massives, comme le reflète la courbe de ces marchés depuis mai 2002 en dollars. A noter que les bourses des pays préémergents ont non seulement chuté davantage que celles des pays émergents, mais qu’elles ont aussi mis plus longtemps à se ressaisir. Devenus frileux, les investisseurs n’ont repris goût au risque que très lentement.
A l’heure actuelle, les perspectives de croissance des places préémergentes sont globalement favorables, surtout si l’on considère que la reprise conjoncturelle s’y installe généralement avec un certain retard par rapport aux autres économies. En 2011, une poussée de croissance devrait faire progresser les bénéfices des entreprises, ce qui renforcera du coup la confiance des investisseurs.
En raison du haut degré de risque que présentent ces marchés, il faut éviter d’investir dans des titres ou pays isolés. Mieux vaut diversifier l’investissement par l’intermédiaire d’un fonds géré activement, qui prend en compte différents secteurs et régions de ces marchés. Enfin, ne pas oublier non plus de veiller à ce que les investissements sur les marchés pré-émergents et émergents soient adaptés à la propension au risque de l’investisseur.
(Martin Thommen (UBS Global Asset Management) - leTemps - 02/02/11)