“On est 6 milliards d’individus sur terre, on sera bientôt 9 milliards, on aura toujours besoin de vous. Vous ne disparaîtrez pas, vous continuerez à exister mais pas de la même manière” a lancé le chef de l’État aux agriculteurs présents au salon de l’agriculture qui lui faisaient part de leurs inquiétudes.
“Commençons par permettre aux agriculteurs de faire vivre leur famille avant de leur demander de nourrir le monde” a répliqué par média interposé Pierre Priolet, auteur d’un ouvrage poignant au sous-titre explicite : “plaidoyer pour un monde paysan qu’on assassine”.
L’empathie du Chef de l’Etat est sans doute sincère mais pas à la hauteur des drames qui se déroulent. L’agriculture vit aujourd’hui une restructuration qui n’a rien à envier à dans son cortège de douleurs à celle qui a accompagné l’abandon de la sidérurgie. Car l’agriculture de papa c’est fini.
Ainsi en ont décidé les milieux d’affaires. Industries agro-alimentaire et grande distribution en premier lieu. Le grand perdant c’est l’agriculteur traditionnel qui ne maîtrise rien et dont la seule certitude est d’être pressurisé par les intermédiaires avec à la clé des prix d’achats bien souvent en dessous des coûts de production.
L’exemple de la filière du lait est éclairant. À 0,32 € le litre le cours du lait est aujourd’hui au niveau de 1985. Pour être au même niveau de revenus qu’en 1997, il faudrait qu’il soit à 0,58 €. L’élevage est dans une situation toute aussi catastrophique, amplifiée ces derniers mois par l’envolée des cours des céréales qui servent à l’alimentation des bêtes.
Seule lueur d’espoir, l’Etat semble enfin avoir compris les effets collatéraux désastreux du pacte diabolique passé avec la distribution pour offrir des prix de vente modérés aux consommateurs au détriment des agriculteurs.
Nicolas Sarkozy,étonnant mélange de libéralisme et d’interventionnisme, leur a promis le retour de la puissance publique et d’une certaine forme de régulation. “Il est normal que les prix tiennent compte de l’augmentation des coûts à la production par l’explosion des céréales. (…) Dans les négociations avec la grande distribution, l’État sera à côté de vous. Y compris face au consommateur, à qui je suis prêt à expliquer qu’il n’est pas anormal que les prix augmentent“.
Mais là encore, le dogmatisme libéral de l’Union Européenne limite grandement les marges de manœuvre de l’Etat. Le libre-échangisme à tout crin de l’UE donne lieu à des importations massives de produits moins chers, mais souvent de moindre qualité que ceux issus de nos terroirs, qui viennent finir de mettre à mal notre agriculture.
La faute dit-on à un manque de compétitivité. Comme avec la malbouffe c’est le système traditionnel français dit de la fourche à la fourchette qui est aujourd’hui en voie d’extinction. En agriculture comme dans l’industrie ou la finance, les importateurs-distributeurs et les traders sont aujourd’hui les seuls à faire fortune.
En quelques décennies, le monde agricole est devenu une caricature du laisser-faire. Le phénomène de concentration des exploitations agricoles est frappant. En 20 ans, le nombre d’exploitations a été divisé par deux. La France comptait 609 000 exploitations en 1988, il en restait seulement 326 000 en 2007. Conséquence logique, leur taille s’accroît passant de 42 ha en 1988 à 78 ha en 2010 soit, une augmentation de 85 %. Le phénomène est européen puisque dans l’union la taille moyenne des exploitations est de 136 ha. Aujourd’hui, l’agriculture française n’emploie plus que 2,9 % de la population active mais qui contribuent à 1,5 % du PIB français. Mais pour quels résultats ?
Les campagnes se vident, les dégâts environnementaux sont énormes et plutôt que d’assurer l’autosuffisance alimentaire des européens, les paysans de l’Union se concurrencent pour savoir lequel exportera le plus. Avec des prix de vente dans les rayons qui restent élevés alors que la qualité s’effiloche, le consommateur est le dindon de la farce.
Pierre Priolet n’hésite pas à parler d’une spoliation des paysans par une agriculture productiviste qui capte toutes les aides au détriment d’une agriculture humaine où l’homme a une relation avec ses bêtes et la nature. Le constat que l’on marche sur la tête est partagé par André Pochon, agriculteur plein de bon sens, qui estime qu’avec le productivisme, les paysans sont entrés en misère.
Le cas des céréaliers traduit une évolution inquiétante. Ils passent désormais la moitié de leur temps de travail à spéculer sur leurs ordinateurs et perdent petit à petit la mémoire de la terre, assistés et dépendants d’une électronique qui de la météo au dosage de l’arrosage et des semences les ravale au rang de simple exécutant dénué de toute pensée autonome.
Reste à savoir vers quoi nous souhaitons tendre. Peut-on abandonner les spécificités de notre système agricole et sacrifier notre monde rural sur l’autel d’un modèle unique de production ? Convient-il de considérer la noble mission de nourrir les hommes comme une activité économique ordinaire, soumise à spéculation, délocalisation et importations sauvages ?
C’est un nouveau modèle français qu’il convient d’inventer, maintenant tout à la fois un tissu d’exploitations familiales de taille moyenne réparties sur l’ensemble du territoire et une grande diversité de productions agricoles de qualité. Tout cela ne sera possible que si un système de garantie des prix voit le jour et si émerge un nouveau système de distribution fiscalement aidé, rapprochant le producteur du consommateur dans une logique de circuits courts.
Dans tous les cas, c’est bien de régulation dont notre agriculture a besoin. Autant dire que le sauvetage de l’agriculture française et de nos paysans passe par une nouvelle politique agricole commune basée sur autre chose que les seules lois d’airain du marché. Une révolution somme toute qu’il est urgent d’entamer. Le temps presse. A la compassion doit succéder la réflexion poussée et trés rapidement, l’action. L’agriculture doit ainsi trouver toutre sa place dans les différents programmes présidentiels de 2012.