Ces romans ont cette saveur de contact intime, sans s’enfarger dans les fleurs de la superficialité.
Cette fois, il est question de sa vie de famille ; cinq frères, une soeur, la mère et le père. Voyez, j’ai nommé le père en dernier, pourtant l’auteur le mettra au devant de la scène familiale. C’est pourtant plus facile, on dirait, de parler des mères sur le mode affectif, de relater leurs souvenirs qui gardent l’enfance palpable. Mais les pères, eux, je parle des pères pourvoyeurs, par leur travail à l’extérieur devenait quelques fois un membre un peu à part de la famille.
C’est un peu interloquant au départ mais ces enfants observent leur père, jusqu’à en faire un sérieux sujet d’étude, réunions à l’appui à partager leurs découvertes sur l’homme. Ils essaient, je dirais en vain, de mieux le comprendre. Faut dire que ces enfants-là sont vraiment très spéciaux. Ils essaient inlassablement de comprendre, et leur père, et la marche du monde. Au lieu de jouer avec de petits soldats de plomb, il potasse les encyclopédies! Il y a de quoi s’étonner et je l’ai été. J’aurais aimé pourvoir me dire, mais c’est de la fiction ! Mais dans la bouche de l’auteur, ça a l’air tellement vrai que je n’ai pas osé. Mais si ce n’est pas vrai, c’est le plus beau mensonge jamais lu de ma vie !
Le père est intriguant, et j’avais à cœur de mieux le comprendre mais jamais autant que comprendre des enfants qui désirent autant saisir les motivations profondes de leur paternel. « ...sa légèreté, qui s’est mué plus tard en futilité, nous aurait plu, précisément parce que la légèreté est si souvent le signe d’une profondeur. Nous nous attachions à présent à un être plus inquiet, non pas moins sensible mais plus vain, plus insaisissable ».
Avez-vous remarqué le « nous » ? Encore une audace qui surprend le lecteur, ce nous qui forme un bloc. Ça donne certainement de la force à ce qui est avancé sur ce sujet de prédilection, le père, e grand bricoleur pas du tout communicateur. Une île. Et le moins que je puisse dire est que ça a dérangé ces enfants désinvoltes, libres et, eux-mêmes si communicateurs, de se frapper à un père fermé sur son monde. Il est l’autorité sans possibilité de questionnements, comme beaucoup de père l’ont été jadis. Mais ce récit très intelligent ne le laisse pas passer comme un lieu commun.
En fait, lire du JFB, c’est se tenir en marge des acquis, des évidences aussi. Surtout les évidences. C’est tout remettre en réponse, après exploration par la voie de la bonne conscience. Et pour ce faire, il faut du silence et de la contemplation. On les entend, l’auteur nous amène à l’intérieur de ses forteresses intimes. Il partage ses sources d’inspirations, assez souvent soufflées pas la nature. « J’y découvrais des pénombres et mêmes des opacités, qui ressemblaient à mes propres secrets. Je n’en trouvai aucune d’impénétrable (âme). Je préférais encore ces nuits épaisses à l’insoutenable feu ne brûlant jamais qu’à la surface des choses. Je ne dis pas que j’étais grave : je demeurais au contraire cet homme léger que l’austérité agaçait, parce qu’elle est contraire à la politesse que nous devons à la vie elle-même. Mais je sentais ma vie attachée à un maître, qui fut sans doute le sentiment de ma mort. J’étais affamé : il me fallait vivre, et avec le moins d’intermédiaires, de filtres possible. Ce n’est pas que mon existence m’échappait. Mais elle me paraissait être une expérience extraordinairement provisoire.
Le récit se termine au « je », par là où tout commence et tout se conclu.
Le temps qui m'est donné, Jean-François Beauchemin, Québec-Amérique, 160 pages,