Je pèse mes mots. Le disque enregistré par le jeune Pavel Haas Quartet sur les quatuors N°12 en fa majeur ("l'Américain") et le N°13 en sol majeur d'Anton Dvořák (label Supraphon) est un choc absolu. Il est parti pour être mon disque de l'année 2011. En tout cas, il m'a procuré des émotions que très peu de disques ont provoquées depuis pas mal d'années.
Et pourtant, ces quatuors, surtout l'Américain, ont été très souvent enregistrés. Ici, on tient quelque chose de proprement phénoménal. Pour chaque mouvement, dès les premières mesures, c'est un mélange singulier de naturel, d'énergie et de classe absolue qui se dégage. Pour reprendre la réaction de Klari sur la page Facebook du poisson rêveur lorsque j'ai diffusé la petite vidéo live (pourtant de piètre qualité) que le groupe a enregistrée sur youtube : ces quatre musiciens opèrent avec une telle fusion et une telle générosité que leur jeu en est proprement orchestral. C'est ample, sa respire, c'est tellement spontané, direct, franc sans les tics rhétoriques de tant de quatuors. La musique se déploie avec une évidence folle. C'est proprement diabolique. Le chant des notes, l'articulation rêvée, un dynamique incroyable. Mozart avait raison. Les tchèques ont la musique en eux. Ils sont l'essence même de la musique. Jamais Dvořák n'avait sonné avec tant de beauté à mes oreilles.
Le Quatuor N°13 qui ouvre la session est le plus "orchestral", le plus tendu. La ligne est justement bien tendue et les différentes voix instrumentales, avec une limpidité exemplaire, s'expriment de la façon la plus débridée qui soit pour notre plus grand bonheur. L'espace sonore est alors inondé de notes d'une beauté absolue. Quelle classe. Le premier mouvement (allegro moderato) nous emmène dans une récit épique qui invite à la plus belle rêverie, mais sait aussi nous saisir dans des tutti d'une magnifique densité. L'adagio, qui s'ouvre avec l'enchevêtrement inquiétant des voix, nous fait savourer un legato qui tend le propos à l'extrême tout en maintenant une transparence et une plasticité ahurissantes. On divague dans des plaines tapissées d'une brume inquiétante. Dieu que c'est beau. Le molto vivace révèle ses racines slaves sur une cadence martiale implacable. Le dernier mouvement (andante sostuneto et allegro con fuoco) maintient une ambiance de "chaud / froid" qui nous tient en haleine du début à la fin.La pièce maîtresse vient ensuite : le fameux quatuor N°12 "Américain". Chaque note est une goumandise. Chacun des mouvements, pourtant archi entendu, se révèle avec de nouvelles couleurs. Là encore la transparence, la limpidité de cette interprétation sont sidérantes. Le fameux thème presque folklorique de l'allegro qui ouvre le quatuor révèle toute sa dimension épique, revendiquant presque son identité d'hymne à une l'identité du "nouveau monde". Tout cela respire et est tellement lumineux. La narration est menée avec une telle intelligence. Toute la trame narrative de ce mouvement nous apparaît avec une telle évidence.
Sur le lento, alors là, je craque littéralement. Cela fait maintenant quatre fois que je l'écoute et les frissons et les larmes sont identiques à la toute première écoute. Ces jeunes tchèques, je vous le dit, sont diaboliques. Ils sont incroyables. Quelle beauté. 7'18" d'un mélange singulier où l'on est transporté par la beauté de ce mouvement transcendée par le chant radieux du premier violon, soutenu par la voix mélancolique de l'alto. Ce croisement des voix procure une émotion extrêmement rare. Le molto vivace et le merveilleux finale nous emmènent dans un tourbillon étourdissant.
Ce disque est tout simplement incontournable et cet ensemble à suivre absolument.
On notera aussi la belle qualité d'enregistrement où les cordes s'expriment avec générosité et ampleur sans excès de réverbération. Equilibre très subtil.
Plus de détails sur le site de Supraphon.
Anton Dvořák - quatuors N°12 en fa majeur ("l'Américain") et le N°13 en sol majeur - Pavel Haas Quartet - Veronika Jaruskova, Eva Karova (violons), Pavel Nikl (alto), Peter Jarusek – (violoncelle) - label Supraphon.
Coup de coeur du poisson rêveur.Extrait : final du Quatuor N°12 en fa majeur ("l'Américain") / Finale. Vivace ma non troppo.