Il y a deux semaines, Tron représentait un univers mystérieux qui m’était inconnu. Depuis gamin, je regardais d’un drôle d’œil lointain ce film ayant presque mon âge que je n’avais jamais vraiment eu l’occasion ni la motivation de voir. Mais à l’aune de la sortie d’un nouveau Tron, j’avais pris comme résolution de m’atteler à la découverte du premier film, pour mieux apprécier sa suite. En l’espace d’une semaine, ce fut donc un Tron sur canapé puis un Tron : l’héritage sur grand écran que je me suis attelé à voir.
Ma décision de voir le Tron cru 1982 est donc né du désir de voir le cru 2011. A vue de nez, il me semblait bien improbable que ce film qui à l’évidence était inattendu et bluffant il y a près de 30 ans allait me scotcher à mon canapé. Je les voyais déjà, ces affrontements sur grille numérique vieillots qui auraient un petit goût kitsch inévitable. Mais je me devais de le voir. Je me devais de pénétrer cet univers si opaque qui s’est jeté à mon visage dans le premier quart d’heure du film. Quel culot. Qu’on le découvre en 1982 ou en 2011, quel culot de nous propulser sans préambule au milieu de ces programmes à forme humaine. Est-ce un jeu, un logiciel, difficile à déterminer, difficile à analyser, difficile à appréhender. Une seule chose à faire : tenir, s’accrocher, s’avancer dans ce monde virtuel qui ne nous est pas vraiment expliqué.
Au cours de ce premier quart d’heure, je me voyais déjà foncer dans un mur d’incompréhension et de renoncement. Pourtant sans m’en rendre compte, je n’y ai plus pensé. Je me suis détaché de l’opacité. J’ai laissé mes sens être happés par l’errance de Jeff Bridges, ingénieur coincé dans cet ordinateur dont les programmes s’affrontent aux disques et à moto jusqu’à la destruction. J’ai laissé mes sens être happés par ce labyrinthe virtuel à l’esthétique surannée mais à la complexité absorbante et au challenge cinématographique fascinant.
Tron n’est pas le nom de l’univers. C’est celui d’un de ses personnages. Un second rôle du film. Un programme aux qualités combattives remarquables et à la noblesse d’esprit et de cœur qui en font un véritable héros romantique. Il aide le protagoniste, Flynn (Bridges) à se fondre dans l’univers et à le comprendre, il incarne le courage et la droiture. Tron ancre le récit dans l’aventure classique par son caractère, alors que tout autour de lui crie l’irréel, l’immatériel, l’insaisissable. Un univers de pure fantaisie qui brille par son audace qui aura sûrement laissé un paquet de spectateurs désarçonnés, n’ayant su se laisser guider.
Je me suis collé devant Tron pour découvrir sa suite, mais c’est bien un choc cinématographique moderne par son approche du cinéma qui m’a attrapé à la gorge, et qui a su dépasser la simple mise en bouche que j’attendais. Désormais pour Tron : l’héritage, la suite réalisée près de trente ans plus tard par Joseph Kosinski, il s'agissait de relever le défi du film de Steven Lisberger. Un film qui rende hommage à son prédécesseur tout en apportant un coup de sang, un véritable choc qu’il se devait d’honorer.
De choc il est difficile de parler à propos de ce second Tron. Peut-être parce que les mondes virtuels n’ont plus rien d’expérimentaux et de révolutionnaires en 2011. Peut-être parce que la structure narrative de cette suite est plus classique. Mais si de choc il n’est pas question, il s’agit bien là tout de même d’un trip cinématographique qui sait se montrer vibrant. Lorsque l’heure viendra, dans quelques mois, de se remémorer les scènes les plus marquantes de 2011, je m’imagine déjà revivant ce moment grisant intervenant au début du film : après le prologue dans lequel on découvre le fils de Flynn enfant, un saut dans le temps nous le fait rattraper de nos jours, la vingtaine (campé par Garrett Hedlund), fonçant à moto sur une route nocturne. Les premières notes de la bande originale de Daft Punk retentissent alors. Un morceau jouissif, totalement inattendu en tant que bande originale de film, accompagne la fluide course de l’engin à travers la ville. A ce moment-là je ne pensais plus à rien, mon corps n’avait plus qu’une fonction, celle de profiter de l’instant. De prendre mon pied cinématographique. Un trip énorme s’annonçait.
C’est bien cela la différence entre Tron ’82 et Tron ’11. Le second n’est pas capable d’envoyer l’électrochoc surprenant du premier, ce n’est plus l’époque pour. Alors il joue à fond la carte du trip. D’abord en nous faisant pénétrer un univers visuel ultra léché, imposant, sombre mais teinté de flash de couleurs, prenant ponctuellement forme avec une 3D qui sait, contrairement à ses nombreux prédécesseurs sur le format, ne pas se montrer trop intrusive et excessive. Elle est distillée plus qu’imposée.L’autre élément essentiel du trip, c’est la musique confiée aux frenchies Daft Punk. Elle le donne le pouls du film, elle fait battre un rythme constant et hypnotisant, transportant parfois certaines séquences dans une dimension hallucinante, comme cette séquence en moto évoquée plus haut.
Il y en aurait des choses à reprocher à cette version 21ème siècle de Tron. Son manque d’audace narrative, ses retournements un peu attendus, son excès de Jeff Bridges numérique (alors que le Jeff Bridges naturel et barbu a une stature impressionnante et un petit éclair zen rappelant le Dude de The Big Lebowski), son absence trop grande du personnage emblématique qu’est Tron. Mais malgré cela, le film parvient à dépasser ses défauts pour nous faire naviguer dans les eaux du fantasme, de l’aventure en phase avec son époque, de l’expérience cinématographiques trippante. Le choc n’est plus là, mais c’est une glissade dans le rêve qui se vit, dans les sensations. Et c’est déjà un bonheur indéniable.