ParTIPHAINE SAMOYAULTEcrivain, enseigne la littérature comparée à l'université paris-VII
Le plagiat est une pratique ambiguë : assimilé à un délit de vol, il peut être aussi valorisé par les écrivains qui en font un lieu de révérence ou un jeu transgressif. Pour Sartre enfant dansles Mots, le«plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes : tout était forcément vrai puisque je n’inventais rien».Le libre jeu de la mémoire et de l’imagination donne à la littérature sa puissance d’expression et de déflagration. Si la frontière est parfois difficile à établir entre emprunt concerté et plagiat pur et simple, susceptible de faire l’objet d’une condamnation juridique, il arrive aussi que ce soit un faux problème, ou qu’on l’exagère à dessein.
Je vois un des symptômes du refus de la littérature dans notre société contemporaine dans l’émergence d’une obsession du plagiat qui le détourne à la fois de sa vérité pratique et de ses fonctions. Je ne parle pas ici des accusations classiques, qui repèrent légitimement des appropriations frauduleuses et qui font l’objet de la part du plagiaire d’une défense plus ou moins adroite. Je parle d’une extension du domaine du plagiat où celui-ci ne renvoie plus seulement au texte, mais à l’univers des choses, à la réalité même. Ainsi est apparue une catégorie surprenante de plagiat : le plagiat du réel ou le plagiat de la vie. Il n’y a pas meilleur façon d’ôter ses pouvoirs à la littérature que de considérer qu’elle plagie la vie. Si tout ce qui fait sa matière est condamné au nom d’une intégrité prétendue de la réalité que l’art viendrait contaminer, alors elle est assimilée à une activité doublement secondaire : elle viendrait après et, en vertu d’un platonisme dégradé, elle ne serait que la pâle copie d’un original solide et satisfaisant.
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