J'ai fait l'acquisition pour le CDI de Cerveau, Sexe & Pouvoir, documentaire qui se penche sur les prétendues différences biologiques entre les hommes et les femmes. Cet ouvrage relativement court de Catherine Vidal (Neurobiologiste) et Dorothée Benoit-Browaeys (Journaliste scientifique) nous éclaire sur les débats, les clichés et les erreurs concernant les différences entre hommes et femmes, qui viendraient, selon certains, d'une différence de constitution du cerveau.
Les deux auteures démontrent que le cerveau est évidemment un organe très complexe et que nos comportements sont le fruit de nombreuses interconnexions également très complexes entre les différentes parties du cerveau, mais sont également influencés par notre environnement, notre histoire et les différentes stimulations auxquelles nous sommes soumis. Par ailleurs, il n'existerait pas une partie du cerveau plus féminine et une autre plus masculine, qui tendrait à démontrer une différence "biologique" et donc naturelle entre les hommes et les femmes. Tout au contraire. De nombreuses différences de comportements entre les petites filles et les petits garçons et plus tard entre adultes, sont notamment induites par l'éducation très différente que reçoivent les enfants de sexe différent.
Il s'agit d'un livre très intéressant et éclairant sur de nombreux points. J'ai entre autres appris que les chromosomes XX et XY n'étaient pas forcément déterminants pour le sexe du fœtus et futur être humain. Il existe ainsi des femmes qui possèdent les chromosomes XY et même certains individus avec plusieurs chromosomes XXY, etc. D'autres aspects entrent donc en ligne de compte pour la construction du sexe. Autre exemple, on impute souvent aux hormones nos changements d'humeur, en induisant un pouvoir très surévalué des hormones sur nos affects. Or le rôle des hormones peut se révéler très différent d'un individu à l'autre et est à mettre en perspective avec des dizaines d'autres composants biologiques. Elles ne peuvent donc à elles seules expliquer, par exemple, des états dépressifs ou des sautes d'humeur.
C'est un ouvrage qui donne aussi beaucoup d'arguments à opposer aux tenants d'un déterminisme biologique forcené, souvent pour des raisons idéologiques. Une étude qui permet ainsi de remettre en cause un certain nombre de clichés voire d'absurdités qui ont la vie dure et qui sous-tendent une assise biologique à la différence existant entre les individus, souvent dans une optique de hiérarchisation sociale ou sexuelle très peu naturelle, pour le coup.
Pour conclure, je vous livre une citation tirée de l'avant-propos de Maurice Godelier, anthropologue de son état, que j'ai trouvée fort à propos (même si un peu longue, je vous l'accorde) : Les sciences sociales, confrontées à de multiples formes d'inégalité sociale, voient ainsi régulièrement arriver des chercheurs - qui ne sont pas tous et de loin des biologistes - qui avancent des raisons biologiques pour expliquer que les Blancs sont supérieurs aux Noirs, les peuples civilisés (en général des peuples euro-américains qui se sont auto-proclamés représenter la Civilisation) plus avancés que les peuples "primitifs" ou "sous-développés". Mais invoquer des raisons biologiques pour "expliquer" les différences réelles ou imaginaires entre les individus selon leur sexe, leur "race" ou leur société, c'est chercher des raisons hors de l'histoire et transformer du même coup des faits historiques (s'ils existent réellement) en faits naturels et donc non modifiables. Du même coup également, ces inégalités se trouvent non seulement expliquées mais justifiées et la démarche scientifique se mue en démarche idéologique. Un ordre social provisoire devient un ordre naturel incontournable. [...] On comprend que les données sélectionnées dans ce livre sont celles qui démontrent la plasticité du cerveau humain et le fait que 90% des connexions entre nos 100 milliards de neurones sont établies après la naissance à partir de l'expérience personnelle de chaque individu, de ses interactions multiples et toujours spécifiques avec les personnes et les réalités de son environnement naturel et socio-culturel. La conclusion qui s'impose est celle qu'avait déjà tirée il y a un quart de siècle François Jacob, le grand biologiste. Toutes les découvertes démontrent que "l'être humain est génétiquement programmé mais programmé pour apprendre". C'est-à-dire inventer de nouvelles manières de penser et d'agir, bref de vivre individuellement et collectivement." (p. 8-9)