Une imprimante en panne au bout de 10 ramettes, une voiture qui commence à tomber en morceaux au bout de 5 ans, un appareil photo numérique qui bug au bout de 3 ans, une machine à laver qui tombe en panne, un iPhone dont la batterie soudée à l’intérieur a une durée de vie limitée, et dont les mises à jour d’iOS ralentissent progressivement la vivacité de réaction, des ampoules qui claquent systématiquement au bout d’un temps très court d’utilisation, des bas qui filent… Cela nous arrive tous les jours, et c’est énervant. On pourrait penser que ce sont de petits problèmes que les ingénieurs règleront avec le temps. Bien des fois, en soupirant, on se dit que quand même tous ces ingénieurs et designers pourraient améliorer la robustesse et la fiabilité, et puis notre optimisme et notre foi dans la modernité nous font nous dire que tout va se régler. un jour. Mais que diriez-vous si l’on vous disait que ces problèmes ne sont pas des anomalies, mais ont été pensés, réfléchis. Qu’ils participent d’une doctrine inhérente au néolibéralisme, qu’ils ont été patiemment théorisés et implacablement mis en pratique? Que notre vie quotidienne pleine de pannes et de déconfitures des objets courants ne va pas s’arranger, bien au contraire. Que tout ceci a même un nom!
=> L’obsolescence programmée, ayant émergé parallèlement avec la société de consommation et la production de masse au début du 20ème siècle.
« Un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires » lisait-on dès 1928 dans une revue spécialisée. Ce qui est pour nous une bénédiction est pour le néolibéral une catastrophe. Cela s’est particulièrement vérifié après le krach de 1929, où parallèlement au New Deal de relance de l’économie, l’obsolescence programmée a failli devenir « obligatoire » afin de faire retrouver aux Etats Unis plein emploi et croissance.
En effet, les progrès de la science avaient rendu la production plus fiable, plus rapide, moins coûteuse. Ceci avait soulevé une crainte qui s’était mue en terreur parmi les grands patrons de l’époque: si l’on peut produire à peu près tout en grande quantité, délivrer des produits de grande qualité, et que les consommateurs peuvent de ce fait à des coûts raisonnables satisfaire leurs désirs, que va-t-il se passer quand chaque consommateur aura acquis un produit inusable comblant chacun de ses désirs?
La mort du commerce??…
On voit toutes les limites de ce raisonnement (tellement plein de failles qu’il ne pouvait être tenu que par quelqu’un de sérieusement diminué, ou par un économiste), et par ailleurs plutôt qu’une crainte immodérée, cette perspective ouvrait peut-être celle d’une société dans laquelle le travail aurait retrouvé une place moins centrale et o d’autres formes d’intéraction sociales et d’autres priorités de production auraient pu voir le jour.
Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, puisque ce qui l’a emporté est la crainte de voir le désir satisfait (et donc les ventes baisser -une digression pour dire que dans la tradition philosophique remontant à Socrate, le désir est ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce qui nous manque, et ne peut donc par définition jamais être satisfait…), et comme le montre le documentaire que nous vous recommandons « prêt à jeter », tout a été fait afin d’entretenir et d’accentuer l’asservissement au désir et à la consommation dans lequel on maintient nos peuples. Et ce, par tous les moyens possibles, y compris la tricherie que représente l’obsolescence programmée (puisqu’on nous vend toutes sortes de produits en vantant leurs qualités alors que leur manque de fiabilité et leur mort ont été programmés au moment même de leur conception! Qui accepterait de payer pour un produit défectueux? Réponse: au moins 6 milliards d’individus, pourvu qu’ils ne le sachent pas).
Parenthèse pour les professionnels de santé qui lisent ces lignes: vous savez maintenant pourquoi ces damnés automates tombent tout le temps en panne!:)
Et pour tous ceux qui ne jurent que par les normes de qualité, les process qualité, le management par la qualité: ne trouvez-vous pas qu’il y a une ironie savoureuse à prôner la qualité quand le défaut est au coeur de tous les produits? Ne pensez-vous pas qu’au dessus, tout au dessus de nous, dans des bureaux feutrés aux murs de coffre-forts, de gens en haut de forme ou même pas, montre à 250 000 dollar, cigare de luxe et Monet au mur rigolent à s’en taper sur les cuisses de voir d’honnêtes petits soldats travailleurs et de bonne foi prôner la qualité (argument commercial qu’il leur ont soufflé à l’oreille), eux qui savent bien que tout est conçu pour tomber en panne?;)
On découvre avec effroi, et en même temps avec délice dans ce passionnant documentaire comment, depuis les années 20, les ingénieurs des quatre coins du monde, sous la pression de leurs directions (regroupées au sein d’un consortium nommée phoebus initiateur et grand ordonnateur mondialiste de cette trahison internationale), ont été amenés à concevoir des produits à durée de vie limitée afin d’accroitre la demande des consommateurs. Produits à durée de vie limitée, parfois au moyen de procédés a priori illégaux (puce électronique, ajout ou retrait de parts essentielles déterminant la robustesse et la longévité des produits), revenant la plupart du temps plus cher à réparer qu’à racheter. Plus cher à réparer qu’à racheter. Là est le but, et le but est atteint.
Quand est-ce la dernière fois que vous avez fait réparer un produit plutôt que d’en racheter un neuf?
Parallèlement, au Ghana, où comme dans d’autres pays en voie de développement, réparer les objets est par nécessité une seconde nature, on s’exaspère de l’arrivée par pleins conteneurs de déchets informatiques dont les pays développés se débarrassent, ne souhaitant pas investir dans le recyclage de ces composants informatiques. »Les générations futures ne nous pardonneront jamais lorsqu’elles découvriront le mode de vie gaspilleur des pays développés« , déclare ainsi un ghanéen dépité de voir ses rivages transformés en une vaste décharge.
« Le monde est assez grand pour satisfaire les besoins de tous mais il sera toujours trop petit pour contenter l’avidité de quelques uns » (Ghandi)
Une solution : repenser les systèmes de production, une réponse aux délocalisations?
Développer les réseaux sociaux d’entraide des consommateurs, exiger le recyclage sur les sites de production, réduire l’empreinte écologique, la surproduction, la surconsommation pour développer d’autres ressources plus centrées sur l’écologie.
Pour Warner Philips, la production de produits pérennes n’est pas incompatible avec le monde des affaires. En prenant notamment en compte pour fixer le prix d’une marchandise le coût réel des ressources utilisées et des transports pour la production ainsi que la charge liée au recyclage et son impact environnemental. L’industrie pourrait, au lieu de dévoyer ce nouveau créneau publicitaire qu’est devenu le « durable », s’inspirer du « cycle vertueux de la nature », cette dernière ne produisant dans son génie aucun déchet toxique. En choisissant mieux ses matières premières, une compagnie textile suisse a ainsi réduit drastiquement le recours aux composés toxiques pour privilégier des composés biodégradables dans la conception de ses tissus d’ameublement.
On en revient à la qualité, en plein essor dans nos professions médicales mais aussi dans l’administration notamment pour rationnaliser la main d’oeuvre dans le cadre de la RGPP. Au détail près qu’ici il s’agirait de produire peut être moins, mais mieux. Le vrai sens du durable. le vrai sens de la qualité.
La solution de la décroissance, est ce revenir à l’âge de pierre?
« Celui qui croit qu’une croissance infinie est compatible avec une planète finie est soit un fou, soit un économiste ». Aujourd’hui, il ne s’agit plus de croitre pour satisfaire des besoins mais croitre pour croitre » (Serge Latouche).
Et si c’est à crédit et à grand renfort de pub, c’est encore mieux!
En effet, pour les détracteurs les plus radicaux de l’obsolescence programmée, changer le modèle de production est cependant insuffisant, il faut selon eux repenser complètement le système économique et nos valeurs afin de rompre avec l’idée de croissance infinie et démesurée dans nos sociétés capitalistiques. Développer d’autres formes de richesse inépuisables comme le savoir ou les liens familiaux. Ne plus dépendre des objets pour forger notre identité, mais au contraire se réouvrir à des bonheurs plus sains. En quelque sorte, se nourrir du lien social pour sortir du cercle vicieux de l’emballement du désir de possession dans une société consumériste. Remplacer la vacuité de la superficialité par l’humanité du sens?
Tout un programme.
Pour en savoir plus : article Wikipédia Obsolescence_programmée