De nouveaux documents difusés par Wikileaks montrent que l’Etat français et son gouvernement ont systématiquement ignoré les atteintes flagrantes aux Droits de l’Homme au Maghreb au nom de certains intérêts mercantillistes et sécuritaires.
Lors de son premier voyage en Tunisie, Nicolas Sarkozy n’a pas souhaité rencontrer d’acteurs non-étatiques de la société civile. Les seules discussions portant sur les Droits de l’Homme en Tunisie ont eu lieu en privé et à l’initiative de Ben Ali.
Deux semaines plus tard, un diplomate français du nom de Serge Degallaix affirmait même à un diplomate américain que l’Etat tunisien ne serait pas une dictature.
Lorsque le Premier Ministre François Fillon est allé en Tunisie en 2009, il avait à ses côté 60 hommes d’affaires français, mais pas le Ministre des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner. La seule déclaration substancielle de François Fillon sur la situation politique du pays a été : « la France ne donne pas de leçons de Droits de l’Homme [...] ces problèmes relatifs aux Droits de l’Homme sont présents dans à peu près tous les pays. »
En février 2010, un diplomate français du nom de Cyrille Rogeau, sous-directeur responsable de l’Afrique du Nord au Ministère des Affaires Etrangères, a déclaré à Charles Rivkin, ambassadeur américain à Paris, que l’administration française considérait la Tunisie comme le régime le plus stable du Maghreb.
Realpolitik, dirigisme et incompétence
Ces télégrammes diffusés lundi 21 février par Wikileaks montrent le même système de cynisme en politique étrangère et de collaboration avec les plus grandes entreprises françaises vivant de contrats d’Etat en politique intérieure.
Mieux, ils montrent aussi l’incapacité des hommes d’Etat à prévoir les changements politiques d’ampleur à l’étranger. Un diplomate français, Jay Dharmadhikari, a ainsi affirmé que le chef de l’Etat algérien Abdelaziz Bouteflika aurait bien de la chance s’il parvenait à survivre d’ici la fin de son mandat en 2009. Force est de constater que Bouteflika est toujours en vie et au pouvoir en 2011.
Selon la diplomate française Nathalie Loiseau, Nicolas Sarkozy a plusieurs fois téléphoné à Moammar Khadafi afin de l’inviter à Paris. Cyrille Rogeau note que « les libyens ne font que parler mais n’achètent rien de français. Il n’y a que les italiens pour signer des contrats avec eux. »
De tels propos sont révélateurs des liens ténus qui existent entre les grandes entreprises françaises et l’administration du pays. Ces liens sont très anciens et relèvent d’une tradition colbertiste et dirigiste fortement anti-libérale. En effet, si la France était un pays libéral, l’Etat n’aurait pas de relations privilégiées avec les entreprises, grandes et petites.
Comme il existe une séparation entre la religion et l’Etat (plus imparfaite qu’on ne le dit en France), il devrait exister une séparation entre l’Etat et les activités de la société civile (associations, entreprises, etc.).