Notre agriculture se meurt. En plein salon de l'Agriculture, vient de paraître deux ouvrages majeurs sur la question agricole: celui d'Isabelle Saporta, journaliste à Marianne, le livre noir de l'agriculture chez Fayard et celui de Pierre Priolet, arboriculteur, contraint d'arracher ses arbres l'an dernier. Son livre -les fruits de ma colère, plaidoyer pour un monde paysan qu'on assassine, chez Laffont- contient des solutions iconoclastes, et donc intéressantes.
Il faut être conscient des enjeux du monde agricole aujourd'hui. A part les céréaliers -qui se portent bien merci- nos autres agriculteurs sont condamnés à disparaître dans la décennie qui vient. L'extinction programmée des aides de la Politique Agricole Commune (PAC) va entraîner la fin des petits paysans incapables de concurrencer les autres paysans du monde. Comment éviter cela?
Deux voies, classiques, vous nous être proposées par nos responsables politiques: la première consiste à (ré)affirmer notre confiance en l'Europe et à la PAC. C'est ce qui se met en place depuis dix ans, avec les dégâts que nous connaissons. La deuxième voie prend la forme d'un discours qui vante les vertus de la Réglementation, de la PAC pratiquée il y a vingt ans. Ce discours est irréaliste car la France ne reviendra pas en arrière, tant elle est liée par ses engagements européens.
Il faut donc, dans le cadre contraint qui est le nôtre, envisager une autre politique, volontariste, nationale mais compatible avec les réglements internationaux.
Dans une époque où les experts ne cessent de faillir, c'est souvent les esprits éclairés de terrain qui peuvent trouver les réponses adéquates. A cet égard, le livre de Pierre Priolet est particulièrement riche. Je ne résiste donc pas au plaisir de vous le citer :
Le gouvernement nous affirme vouloir tout faire pour réglementer les bonus des traders, il nous montre la voie. Il faut l’encourager et étendre la question des bonus, à celle des marges de tous les magasins de plus de 800M² de surface de vente, en imposant une marge de 30% maximum, tous avantages compris, à savoir, marge avant, marge arrière, mise en rayon fournisseurs effectuée ou financée, ventes effectuée ou payée par le fournisseur et tout autre bénéfice tiré du système. Le travail sera enfin récompensé : plus le magasin travaillera, plus il pourra gagner, cela interdira les rentes de situation et dynamisera le commerce. Quand un produit, ne coutera pas cher, le consommateur pourra enfin en profiter, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui".
Et plus loin:
"Ma proposition consiste à donner à toutes les exploitations agricoles intéressées, la possibilité de vendre 1000 m² de leurs
terres agricoles proches des villages ou des exploitations, en terrain constructible. Le produit de la vente serait reparti selon les proportions suivantes :
40% pour redonner de l’air à la trésorerie de
l’exploitation
60% iraient à un Fonds Agricole d’Utilité
Publique, dont les exploitants seraient actionnaires, déposé à la Caisse des dépôts et consignations.
Ce fonds ferait l’acquisition de magasins pouvant recevoir une quarantaine de palettes de produits bruts de cueille. Ils seraient situés en zone urbaine, à forte densité de population. Ce fonds servirait aussi à financer l’organisation et la logistique.
Les magasins vendraient les productions agricoles, à prix coûtant (incluant le transport, les frais de main d’œuvre du magasin) plus 30% pour rémunérer le travail et la capacité à investir de l’agriculteur. Ce système permettra de payer les producteurs fournisseurs, dès la vente des produits et donc de leur donner très rapidement une trésorerie, et au consommateur d’avoir accès à des primeurs cueillis à maturité, aux qualités gustatives enfin retrouvées.
Les magasins seraient dirigés par un chômeur de plus de 53 ans ayant les compétences requises et emploieraient trois ou quatre jeunes de 18 à 25 ans sans qualification avec un vrai CDI. Les magasins ne paieraient pas de loyer, car le but n’est pas le profit".
J'aime ce qu'il dit, parce que c'est pragmatique et cela part du terrain et non d'un bureau d'études situé au vingtième étage d'une tour de la Défense!
Je pense, malgré tout, que Pierre Priolet se trompe sur un point : nos responsables politiques ne peuvent pas sortir du système du marché libre dans lequel l'Etat s'interdit d'agir depuis des décennies. Imposer une marge de 30% n'est plus possible aujourd'hui, ne pas faire payer de loyers est une autre impossibilité dans notre monde économique.
Je propose donc, pour ma part, un autre système qui consiste, dans le monde économique qui est le nôtre, à favoriser les circuits courts et bio au détriment de la grande distribution et des gros groupes industriels.
Il s'agit d'imposer une faible TVA additionnelle sur les produits alimentaires, de quelques centimes sur chaque produit (par exemple une TVA de 19,7 au lieu de 19,6). Le produit de cette TVA alimentera un fond de la caisse des dépôts, géré par les agriculteurs (je reprend l'idée de Priolet). Il servira à financer l'installation de circuits courts (au maximum : un paysan, un transformateur, un vendeur-négociant). Ces deux derniers ne pourront pas dépasser les 40 employés et ne pourront pas être franchisés. Je préfère parler en nombre d'employés plutôt qu'en mètre carré car je crois davantage à l'avenir du modèle économique de l'entreprise local de redistribution en circuit court, avec commande sur internet et livraison, plutôt qu'en celui de la moyenne surface (même si il en faut).
Cette contribution incitative, cette TVA additionnelle ne sera pas payée par ces entreprises en circuit court. Elle augmentera d'années en années, de 0,01% par an, favorisant le développement de ces circuits courts.
Cette démarche respecte les règles de fonctionnement du marché, n'est pas en opposition avec les principes de l'agriculture commune. Il ne brusque pas les grandes entreprises de l'agroalimentaire et de la grande distribution qui pourront continuer à fonctionner. Cela me semble primordiale car un Casus Belli à leur égard les feraient se braquer et s'opposer vigoureusement à ce système.
Ainsi, il sera peut être possible de sauver notre agriculture et nos paysans.