Que j'enferme en ma mémoire,
Ma mémoire et mon amour,
Le parfum féminin des courbes colonies,
Cet enfant nu-fleuri dans la mantille noire
De sa mère passant sous la conque du jour,
Ces plantes à l'envi, et ces feuilles qui plient,
Ces verts mouvants, ces rouges frais,
Ces oiseaux inespérés,
Et ces boules d'harmonies,
J'en aurai besoin un jour,
J'aurai besoin de vous, souvenirs que je veux
Modelés dans le lisse honneur des cieux heureux,
Vous me visiterez, secourables audaces,
Azur vivace d'un espace
Où chaque arbre se hisse au dénouement des palmes
A la recherche de son âme,
Où la fleur mouille en l'infini
De la couleur et du parfum qu'elle a choisis,
Où je suis arrivé plein d'Europe et d'escales
Ayant toujours appareillé
Et, sous le chuchotis de ces heures égales,
Du fard des jours errants je me suis dépouillé.
Jules Supervielle