“Que m’évoque le plaidoyer de M. Flavigny publié le 8 février sur Le Monde.fr ? L’image d’une psychanalyse rétrograde stigmatisant comme pathologiques les revendications citoyennes d’un dialogue sur la pertinence des lois françaises au regard du droit international, des acquis des sciences sociales ; et surtout des voix et des droits de toutes les personnes concernées (parents de naissance, personnes adoptées et parents adoptifs).
Alors, “intérêt de l’enfant” ou intérêt (mal compris) des “psys” ? Ressurgit l’image d’une psychanalyse aliénante qui impute systématiquement au patient un sentiment de culpabilité que le thérapeute se chargerait d’absoudre. On y apprend ainsi que si l’accouchement sous X a constitué une “fracture”, il suffit d’aider l’enfant à “tourner la page” (de son sentiment de culpabilité), pour que la fracture se révèle utile à son “épanouissement”. Cela défie toute clinique du traumatisme. Enfin s’affirme l’image inquiétante d’une psychanalyse qui, dans le débat politique, prétend à l’expertise en écartant les voix qui s’expriment, pour parler en place de ceux qui se taisent.
De quelle expertise s’agirait-il ? Celle d’une psychanalyse occupée à nier ses fondements, interprétant désormais le silence comme un signe de bonne santé et la parole comme un signe d’égarement ? “Qui ne dit mot consent”, dit l’adage populaire. Mais doit-on confondre résignation et santé ? L’expertise d’une psychanalyse aliénante qui donnerait à croire que l’identité du sujet se soutient du seul désir de ses parents – lequel n’entrave jamais la construction du sujet ?
D’une psychanalyse qui tiendrait pour négligeable au regard de la parenté la mise au monde les enfants, niant la dette de vie de tout un chacun ? L’expertise antisociale d’une psychanalyse qui voudrait faire reposer l’adoption plénière sur l’accouchement sous X (sa “clé”) : on ne saurait donc plus adopter plénièrement des enfants d’abord reconnus par leurs parents de naissance – pour leur malheur ? L’expertise d’une psychanalyse obscurantiste et rétrograde qui semble ignorer le vrai ressort des conventions internationales – pour mieux en contester la pertinence ? Pourtant ces conventions ne visent nullement à réduire la parenté au génétique, mais à prévenir les trafics d’enfants favorisés par la réduction au silence des parents de naissance, et à organiser le transfert de droits qui fonde humainement l’adoption plénière (ce que la loi française peine à reconnaître).
Que cette image de la psychanalyse trouve la caution de la psychiatrie serait d’autant plus alarmant. Heureusement, la psychiatrie sait montrer un autre visage, et la psychanalyse a aussi un visage plus respectueux de la parole et du droit des gens.
Oui, la psychanalyse, comme tous les champs du savoir, est traversée par des idéologies, qui n’existeraient pas sans ceux qui pensent pouvoir y trouver leur bonheur. Le vrai et le juste peinent à se faire entendre : car ils supposent au moins de peser les arguments de toutes les parties. M. Flavigny reprend les siens à des auteurs que nous connaissons depuis quarante ans. Ils n’ouvrent aucune perspective nouvelle et s’appuient sur une déformation grossière des arguments des tenants d’une plus grande transparence des processus d’adoption au regard des désirs et des droits de chacun.
Nulle part l’adoption ne peut se réduire à des “protocoles”. Rien dans l’attention portée à l’éthique de ce processus n’indique un culte quelconque du “génétique”.
En fait l’idéologie raciale la plus meurtrière de tous les temps a fondé sa conception de l’adoption (plénière parce que substitutive) sur le déni de la maternité des mères d’origine et leur silence organisé : ce fut la pratique des Lebensborn. L’actualité, en Espagne, nous rappelle à ses conséquences.
Ces Lebensborn furent probablement aussi à l’origine de familles heureuses, mais sans aucun doute de familles silencieuses : ce silence n’ôte rien à l’indignité de ce “protocole”, ce n’en est qu’un infâme résultat ! Qu’on se le dise : rien ne favorise davantage l’idolâtrie du tout-génétique que l’occultation des parents de naissance.
Pour conclure en deux mots :
- Parler de l’unité psycho-somatique dans la construction de l’identité de l’enfant demande de dépasser l’opposition grossière entre filiation génétique et filiation symbolique.
- Assurer à chacun le pouvoir d’agir dans la dignité : c’est ce que doit garantir tout protocole qui autorise l’adoption, c’est-à-dire un processus, appuyé sur des actes juridiques, qui engage tout le reste de la vie psychique et sociale de toutes les personnes concernées.”
Corinne Daubigny est aussi l’auteur de l’ouvrage Les Origines en héritage (Paris, Syros, 1994).
Corinne Daubigny, psychanalyste
Source : lemonde.fr du 22/02/2011
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