Vers décalés, en escalier sur la page :
en quoi j’aimais
l’à peine mouvement
des cimes
le roulis
des arbres
la matière l’ajour / de l’air
et
le sous bois continué
le ruissellement continué
où le pas reste /
figé sous des éclaircies
de débardage –
Tirets comme listes des mouvements du paysage :
– le vent prend
-– pousse vers rien
– le lac dans ses rives
Italiques pour les apartés :
un bout
de lucarne en avion
des moutons
des nuages
des gens dans l’avion
des gens passent
dans la lucarne
du ciel
sous la lucarne
aussi des gens passent
– qu’ils ne voient pas
Slashs pour les variations et les nuances de couleurs :
qu’il pleuve
ce sera du vent
le jardin
– de sable
irisé-gris / gris-bleu / bleu-gris
Espaces blancs à respirer les silences, structures anaphoriques-refrains de certains poèmes, petites suites numérotées comme journal de bord.
Le paysage est vu comme un corps à observer, à palper du regard, qu’on n’ose pas déranger de son sommeil.
AU-DESSUS DU MOUDON
I
ça porte le ciel
ça monte ces épaules
de pâtures douces
côtelées de forêts
ces vagues comme d’un corps endormi
d’un autre et d’un autre
– tant de courbes étant
la première la seule
respiration où se mêlent
l’en bas le dedans de la terre
l’en haut le dedans du ciel
ORAGE EN FACE
I
C’est
oui c’est comme
une glace une
verticale
dressée depuis
le dessus depuis
et droit dans le ciel
le dessus des montagnes
le Jura les pentes
sur Lausanne
mais c’est
c’est quand même
un corps assoupi
en ligne d’épaules
ou de hanches comme
un corps au bras
replié un geste
de sommeil
Comment alors positionner son corps d’humain face à ces corps naturels ? Quoi sinon rester / au tout proche / dans le cintre d’un geste / le coup de rein des mots / dans le centre / le dedans.
De la répétition proche des mots naît un sens inattendu, une réalité surlignée qu’on n’aurait pas imaginée. Sur la crête laisser / courir le regard / plus que regard et vision / caresse plus que caresse. Si tout se tient / plus rien ne manque / de ce qui manque. C’est encore / naissante de la lumière / dans la lumière. Ce front borné / des nuages cette / montagne sur / la montagne.
Emmanuel Malherbet se laisse traverser par les éléments, se « sent bousculé caressé par le ciel, les arbres, forêts, lacs, lumière, cimes, roulis, pâtures, vent, mer, glace, crêtes, éboulements ». Ce « rapport charnel et pictural questionne sur l’infini, l’envie de pousser cette épaisseur des nuages, du vent, de la nuit, traverser l’espace, traverser les jours ».
PERSONNE NE POUSSERA LA NUIT
La nuit est calme
si personne
ne lance
vers le ciel
des cordes
ni ne veut
tirer
la lune vers en bas
La nuit si personne
ne lève au-dessus de la tête
ses bras
ni ne pousse
grimpé sur une chaise
les nuages en tas
La nuit est épaisse
Est-ce qu’on peut ?
Est-ce qu’on peut seulement
donner de l’épaule dans le vent ?
le tourner
le retourner ?
Est-ce qu’on peut –
et vouloir
que l’arbre monte
déplie ses branches ajoutant
à l’ombre encore de l’ombre ?
Qui pourrait éloigner l’obscurité dehors et en nous ? Personne / personne ne poussera la nuit / ni ne fera plus / de place. Il faut savoir occuper les jours de la manière la plus exacte. Nous habitons les jours nous / passons dans les jours il faut élire / dans les jours lequel mérite / ce nom // de même faut-il / sur le ciel en découpe saisir la branche / bien venue sans quoi l’arbre n’est pas / arbre. C’est un jeu d’adresse du cœur et des mains. Il faut tenir le jour / dans le plein de son nom.
Les éditions Potentille publient des livres soignés à la jaquette ivoire, une poésie voyageuse, subtile et délicate. Une herbe des talus qui met du baume aux pieds des poètes marcheurs infatigables.
Amandine Marembert.
Emmanuel Malherbet, Personne ne poussera la nuit, éditions Potentille, 7 €