Par Guillaume Lagrée - BSCNEWS.FR / Quand le poète français Robert Desnos (1900-1945) écrivit ces lignes en 1943, il posait un acte de résistance. Comme il ne se contentait pas d'écrire, il fut arrêté et déporté pour actes de résistance en 1944 et mourut du typhus dans un camp de concentration allemand en juin 1945. Cet article est à lire en parallèle de celui dédié à ceux qui détestent le Jazz.
Le classement d'une discothèque n'est pas chose facile et il est impossible d'y arriver à bien, si tôt ou tard on ne se résout pas à constituer un fichier. L'établissement de celui-ci ne va pas sans surprises et le collectionneur retrouve parfois avec étonnement tel disque oublié auquel la vieillesse confère une saveur nouvelle. Ainsi en est-il en particulier du jazz, qu'il soit hot, qu'il soit straight, qu'il soit swing, et qui, bon gré mal gré, devient musique écrite à partir du moment où il est gravé dans la cire.
On mène à l'heure actuelle une enquête auprès des compositeurs contemporains à propos de cette forme musicale dont il serait stupide de méconnaître l'importance, puisqu'elle coïncide avec une des périodes intellectuelles les plus riches des temps modernes. Ce serait une erreur de croire à la façon de tel médiocre compositeur, que les amateurs de jazz, que les musiciens de jazz, que les compositeurs pour jazz sont des épileptiques, des dégénérés et des analphabètes. L'affirmer est au contraire une preuve d'ignorance majeure. C'est ne pas savoir que le jazz est le descendant direct de toute la musique populaire mondiale et que ce n'est pas par hasard que les floklorisants se sont attachés à son étude. Musique espagnole, musique française, musique italienne, musique allemande, telles sont les marraines du jazz. La contredanse normande et la ridée bretonne se retrouvent dans le danzon cubain, ancêtre immédiat de la rumba. Les boléros, les bourrées, les valses se sont prolongées dans les formes modernes de la danse. Il n'est pas jusqu'à la composition de l'orchestre qui n'assimile rapidement les apports européens: on l'a vu dans l'évolution de l'orchestre cubain qui, en peu d'années, est passé de la percussion africaine à une formation où les cordes tiennent une grande place, sinon la plus grande.
Et, sans crainte, sans remords, continuons à collectionner les disques de jazz sur un rayon proche de celui où voisinent Bach, Haendel, Rameau, Ravel, Debussy, Scarlatti et combien d'autres.
Robert DESNOS, Aujourd'hui, 22 février 1943.
Texte réédité dans Robert Desnos, " Les Voix Intérieures ", Les Editions du petit véhicule, Nantes, 1987.