ARTS SONORES,
QUAND LA RADIO S'INSTALLE
On connaît bien aujourd'hui le regain de vitalité e ce que l'on nomme la création radiophonique. Podcast, web radio,
festivals, blogs, la création radiophonique à le vent en poupe. Mais Des Arts Sonnants s'intéressera ici à l'objet radio, celui qui reçoit et redistribue les programmes au gré des ondes, celui
que l'on à appelé poste à galène, poste de radio, radio portable , transistor... Celui qui connut des lampes avant de passer aux circuits imprimés et aux fameux semi-conducteurs en germanium et
autres silicium dits transistors... Celui qui trôna sur la table ou le buffet, marquant l'heure de rendez-vous familiaux autours de feuilletons radiophoniques, d'émissions Yé-yé, de chroniques de
guerre... celui qui par la suite devint nomade, portable, écoutable en tous lieux, ou presque...
Depuis longtemps, cette fameuse radio, pour donner un terme générique à 'objet, est le vecteur d'expériences les plus
diverses, d'Orson Wells terrorisant des milliers de personnes avec une
invasion marsienne plus vraie que nature, à John Cage
qui utilisait des récepteurs radio comme instruments concertants.
Voyons ici trois exemples où la radio sort de son cadre habituel d'objet récepteur émetteur, pour devenir instrument, ou
objet sonore au centre d'une installation.
Commençons justement par l'incontournable John Cage qui se demandait si les camions ne pouvaient pas devenir instruments de musique ! Au fil de ses nombreuses expériences, le compositeur a écrit, en 1951 une pièce concertante," Imaginery Landscape n° 4 for 12 radios". Un orchestre presque normalement constitué, chef d'orchestre compris, pupitres et partitions avec des consignes écrites, mais avec des postes de radios comme instruments. Une approche de l'orchestre déconcertante, aux gré des flux sonores, des improvisations ondulantes, des instrumentistes à l'écoute du Monde, une expérience qui questionne les limites et les contours d'une musique ouverte à l'univers quasi infini des bruits. Il n'est pas question ici de compositions où chaque sons est ciselé et tient une place précise dans l'œuvre, telles que commencent à les imaginer Pierre Schaeffer et consorts, mais plutôt d'un jeu d'improvisation, néanmoins guidée, avec ce que l'on pourrait appeler un "instrument populaire", que beaucoup peuvent acquérir, à l'instar d'un violon, sans disposer d'énormes moyens financiers ni travailler durement la technique musicale et ses gammes. Au delà de ces considération un brin naïves sur une possible démocratisation musicale par l'expérimentation contemporaine, l'approche reste malgré tout conceptuelle, performative, et John Cage justement ne fait pas, loin de là, la une des programmes radiophoniques y compris chez les stations à vocation musicales !
Deuxième exemple de mise en scène de l'objet radio, une installation d'Arno Fabre explicitement nommée "Composition pour
trois radios".
L'explication que l'on trouve sur le site de l'artiste est très claire, comme d'ailleurs l'installation elle-même lorsqu'on
la voit et l'entend pour la première fois :
"...Trois radios sur une table.
Les fils des haut-parleurs, sectionnés et dénudés, apparaissent au-devant des radios.
Au-dessus, à l'aplomb de chaque fil sectionné, un robinet goutte.
Dans leurs chutes, les gouttes rétablissent, brièvement, le contact électrique et les radios diffusent des bribes
sonores.
Le choix des stations et la fréquence des gouttes déterminent des compositions pointillistes et aléatoires...."
Arno Fabre a également créer une autre déclinaison "Contes por radios et robinets", toujours construite sur le principe de la goutte-contact-radio.
Conte pour radios et robinets from Arno Fabre on Vimeo.
Ici, plus d'instrumentistes mais toujours des instruments-radios. En fait, l'instrumentiste est la goutte d'eau, celle par qui le contact se fait, celle qui devient le passeur de sons. On retrouve comme chez Cage une idée d'aléatoire, d'incontrôlable, du fait que les gouttes d'eau sont bien évidemment capricieuses dans leur chutes, mais aussi que l'on ne sait pas vraiment ce qui va sortir des tuyaux radiophoniques. Magie du flux sonore qui rythme un espace pointilliste, comme un discours à la fois insistant et balbutiant, hoquetant, qui réinvente un langage dadaïste, dans une sorte de Ready Made où l'objet radio prend toute sa place, au centre de l'écoute.
Troisième exemple, 2X540
khz, avec l'artiste Mika Vaino et le collectif Belge
LAb(au). On retrouve cette fois encore, puisque le sujet de cet article y est consacré, une
installation de radios, essentiellement d'anciens et beaux postes radiophoniques érigés sur des socles blancs, au travers desquels on déambule.
Deux compositions en boucle de longueurs différentes (18:17 minutes et 15:57) sont diffusées par les émetteurs radio et
jouées sur 540 kHz. 2x540mHz, d'où le titre de l'œuvre . L'ambiance sonore toujours renouvelée est produite par le décalage temporel et la spatialisation de ces deux compositions. Ces
compositions jouent sur des micros sons de radio, bruits blancs de fin de bandes, ou entre-deux stations, souffles, crachotements, micro sonorités chuintantes... Il semble ainsi que les radios
sont vivantes, soufflent, râlent, respirent, communiquent entre elles, très intimement. Le visiteur, dans une ambiance lumineuse et sonore minimale, semble déambuler entre des rangées de sages,
Statues Radios sur leur socles, diffusant dans un langage qui n'appartient qu'à elles d'anciens secrets immémoriaux dont la musique nous berce en même temps que le sens nous échappe. On n'ose à
peine pénétrer ces halos sono-lumineux de peur de déranger et de faire taire la magie de ces voix venues des plus profond de l'âge radiophonique, et certainement de bien plus loin
encore...