Solutions alternatives à la crise

Publié le 22 février 2011 par Savatier

L'un des grands succès de librairie de ces derniers mois, après le court essai de Stéphane Hessel, est un livre d'économie, le Manifeste d'économistes atterrés (Les Liens qui libèrent, 70 pages, 5,50 €). Ce succès pourrait surprendre, dans la mesure où cette science souffre aux yeux du public d'une image assez rébarbative. Mais la crise a bouleversé le paysage et, à l'instar d' Indignez-vous, cet ouvrage dirigé par Philippe Askenazy pose un regard critique sur le monde d'aujourd'hui tout en proposant des solutions alternatives aptes à intéresser tous les lecteurs. En outre, il est écrit dans une langue claire, compréhensible des profanes, ce qui le distingue d'autres publications traitant du même sujet.

Les 630 économistes signataires du manifeste contestent le bien fondé de la " vision néolibérale encore dominante qui décrit un monde fait d'agents économiques individualistes et clairvoyants en concurrence les uns avec les autres ". A l'appui de leur point de vue, ils apportent un argument dont on ne peut sous-estimer le poids : la crise qui a ébranlé le monde en 2007 et 2008, dont les effets se font encore sentir et qu'ils présentent comme le fruit de l'orthodoxie néolibérale, dont les marchés financiers constituent la clé de voûte.

Ces mêmes économistes s'avouent " atterrés " car ils se livrent à un constat sans appel : contre toute attente, la crise n'a en rien modifié les orientations économiques des principaux acteurs mondiaux - en premier lieu les Etats et les banques -, si bien que les conditions semblent progressivement réunies pour la voir de nouveau se produire. Et, ce, d'autant plus que l'intervention (fort keynésienne, ce qui ne manque pas de piquant...) des Etats libéraux pour sauver les banques a donné à celles-ci le sentiment qu'elles pouvaient agir imprudemment en toute impunité, les profits réalisés leurs étant acquis et les pertes subies mutualisées.

Le manifeste s'articule autour de dix " fausses évidences ", piliers du système néolibéral que les auteurs s'emploient à combattre, et de vingt-deux propositions destinées à promouvoir une nouvelle stratégie économique et sociale. Si l'analyse très critique qu'ils consacrent aux marchés financiers (manque d'efficience, création d'instabilité, prédation des profits des entreprises, spéculation contre les Etats) forme la colonne vertébrale du livre, d'autres sujets sont abordés, comme le modèle social européen et la question de la dette publique. Sur ce dernier point, la position adoptée se révèle des plus iconoclastes, puisque les auteurs, loin de voir dans les dépenses publiques la clé de l'aggravation de la dette, pensent que c'est " l'effritement des recettes publiques du fait de la faiblesse de la croissance économique [...] et la contre-révolution fiscale menée par la plupart des gouvernements depuis vingt-cinq ans " qui en sont essentiellement à l'origine. Et de conclure : " Une réduction simultanée et massive des dépenses publiques de l'ensemble des pays de l'Union ne peut avoir pour effet qu'une récession aggravée et donc un nouvel alourdissement de la dette publique ", par l'application d'un simple effet mécanique.

Bien des arguments présentés dans cet essai remettent en question nos idées reçues et suscitent la réflexion, d'autant que certains aspects des politiques économiques actuelles, dont les conséquences sont vécues au quotidien, ont déjà apporté la preuve de leur échec. Ainsi en est-il de la dérégulation des services publics (énergie, télécommunication, etc.), censée, selon la Commission européenne, favoriser la concurrence et profiter aux consommateurs - dérégulation qui s'est, dans les faits, systématiquement traduite par une hausse des prix des biens et des services concernés (la prochaine hausse en vue, d'au moins 5% par an, devant s'appliquer le prix de l'électricité), voire à des ententes illicites entre fournisseurs.

Sans doute, parmi les pistes proposées dans ce manifeste, plusieurs seraient à débattre et, probablement, à retenir. Il convient toutefois de considérer les modèles économiques avec un certain recul, ces modèles, si créatifs soient-ils et reposant sur les formules mathématiques les plus sophistiquées, n'ayant que rarement fait la démonstration de leur efficacité. Car il a toujours manqué à ces équations une inconnue capitale, le facteur humain, en d'autres termes la capacité humaine à dépasser la logique, à jouer la carte risquée de l'irrationnel, avec pour mobiles, entre autres, la satisfaction de l'ego et la cupidité. La crise financière de 2007 en offre un exemple saisissant. Une illustration de la célèbre " Loi de Harvard " qui relève moins de la plaisanterie qu'il n'y paraît : " Même dans les conditions de pression, température, volume, humidité et autres variables les plus sérieusement contrôlées, les êtres humains feront toujours comme bon leur semble ".

Illustration : Une du "London Herald" du 25 octobre 1929.

À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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