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Salle 5 : vitrine 3 : les singes familiers - 2. activités domestiques

Publié le 22 février 2011 par Rl1948

   A la différence des statuettes que nous avons pu admirer ici, mardi dernier, dans la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre qui nous présentaient les singes dans des attitudes fort proches de celles des humains, comme la N 4100 ci-après,

N 4100

ce seront les scènes peintes ou gravées déjà bien présentes dans les mastabas de l'Ancien Empire, en forte régression dans les tombes du Moyen Empire et extrêmement abondantes dans celles du brillant Nouvel Empire qui constitueront aujourd'hui notre fil d'Ariane pour considérer cercopithèques et cynocéphales familiers dans leurs rapports avec les hommes au milieu desquels ils ont constamment évolué, et ce, dès les débuts de l'Histoire égyptienne.

   En effet, quand ces figurations pariétales nous permettent de quelque peu appréhender la vie sociale et familiale des notables des premières dynasties hors de tout contexte cultuel, nous remarquons que ces  animaux étaient déja non seulement apprivoisés, mais aussi éduqués pour effectuer un certain nombre de tâches bien précises, tant utiles que divertissantes.

   Constatant qu'ils n'apparaissent jamais avec cette épaisse pilosité qui dans la nature caractérise les mâles - alors que les femelles arborent un poil nettement plus court -,  nous pouvons sans craindre l'erreur affirmer que seules ces dernières furent domestiquées, l'atavique indomptabilité de leurs partenaires masculins empêchant leur dressage.

   Il est patent que la notion de "gardiens de singes" naquit déjà en ces temps anciens : l'on peut en effet remarquer leur présence dans les tableaux auxquels je faisais ci-avant allusion, promenant en laisse des animaux ne se privant nullement de manifester, de manière parfois très humoristique, une connivence, un degré de familiarité avec eux. Quand ce n'est pas une franche malice : avec ces domestiques attachés au service d'un dignitaire égyptien - souvent des nains qui, selon les textes, provenaient des mêmes régions étrangères que les bêtes qui leur étaient confiées, Nubie et Soudan notamment, d'où peut-être cette facilité de contacts mutuels -, ils semblaient  folâtrer avec délice. Des artistes non dénués d'humour se sont complu à en peindre certains qui grimpent sur les épaules de leur petit conducteur, voire même sur leur tête ;  d'autres qui agrippent leur propre laisse ; d'autres encore qui s'installent sans façon sur le dos d'un élégant lévrier "cravaté" que l'homme promène en même temps.

   De sorte que si l'on tient pour vérité première tout ce que proposent les parois des chapelles funéraires des mastabas de l'Ancien Empire, - je pense notamment à ceux de Mererouka et de Ptahhotep -, canidés et simiens vivaient en parfaite entente dans les riches demeures égyptiennes : on les voit souvent assister ensemble, avec le maître et parfois son épouse, ici, aux travaux réalisés par différents artisans ; là, au recensement des troupeaux ; plus loin, à la récolte des céréales quand ce n'est pas, autre scène récurrente, à l'inspection des domaines où, encadrés de nains gardiens, ils accompagnent le propriétaire assis sur un palanquin en bois  - peut-être de moringa, comme celui du souverain pour certaines cérémonies rituelles-, soutenu par une douzaine de domestiques ...

Nains, babouin et lévriers - Mastaba de Mererouka

(Merci à Thierry Benderitter pour cet emprunt émanant de la visite qu'il propose sur OsirisNet du mastaba de Mererouka ; la scène ci-dessus provenant de la page 6 de son dossier.) 

   Dans d'autres tombeaux, c'est virevoltant gaiement sur le toit de la chaise à porteurs qu''ils nous sont montrés ...

   J'avais, souvenez-vous amis lecteurs, à propos des chiens mais aussi des chats, précédemment indiqué qu'on les retrouvait souvent représentés dans les sépultures sous le siège du maître, pour les premiers, de son épouse, pour les seconds.

   La présence à cet endroit de singes accompagnés ou non de leur gardien nain, sagement assis, jouant malicieusement ou se délectant de fruits, fait également partie des sujets récurrents des scènes funéraires de l'Ancien Empire. Ainsi, dans le mastaba de ce Ptahhotep à qui, faussement,  l'on attribue la paternité d'un des premiers textes philosophiques égyptiens, est-il cette fois tenu en laisse en même temps que trois superbes lévriers aux oreilles pointues.

Singe et canidés - Mastaba de Ptahhotep

(Derechef, grâce à l'amabilité de T. Benderitter, ce bas-relief, à la page 3 de son dossier consacré à la tombe commune d'Akhethetep et de son fils Ptahhotep.)   

   Il appert également, toujours en me référant aux mêmes  chambres funéraires de l'Ancien Empire à Saqqarah mais aussi à certaines du Moyen Empire, que les singes participaient également à d'autres moments de la vie d'une demeure d'Egyptiens aisés - j'insiste sur cette notion sociale dans la mesure où, certes animal de distraction, il flattait aussi la vanité des nantis puisqu'il était considéré comme un signe extérieur de richesse - : c'est ainsi que l'on en découvre certains tenant précieusement le récipient d'huile qui permettra à la jeune servante qu'ils secondent d'oindre le corps de sa maîtresse ; d'autres jouant du haut-bois, de la flûte ou de la harpe, voire imitant le geste d'un chanteur qui porte une main à l'oreille ... Il semblerait toutefois que ces dernières attitudes ne seraient représentatives d'aucune réalité mais, simplement, des parodies de scènes de banquet si fréquentes dans les tombes.

   A ce propos, dans la chapelle funéraire de Kaaper en Abousir - qu'ensemble nous avions visitée l'année dernière -, nous assistons à une scène particulière et peu commune : sur le mur nord, à la gauche d'une représentation du propriétaire enlacé par son épouse, des registres plus petits, d'une quarantaine de centimètres de hauteur, donnent à voir, dans l'un, un nain se tenant devant un joueur de clarinette et dans l'autre en dessous, un singe debout lui aussi mais devant un harpiste assis, exécutant tous deux exactement le même geste : la main droite est tendue vers l'artiste, le pouce touchant l'index, tandis que la gauche se positionne près de la bouche.

     D'après le grand musicologue et égyptologue allemand Hans Hickmann, il s'agirait d'une gestuelle chironomique indiquant "par certains gestes conventionnels ce qu'il sied de jouer aux instrumentistes".

   Toutefois, la main près de la bouche semble inexpliquée dans ce contexte puisque, comme je l'indiquais à l'instant, c'est souvent près de l'oreille qu'elle vient se coller ...

     Singes véritablement musiciens ou mimant, scènes réelles ou parodiques,  il n'en demeure pas moins que, en revanche, celles où on les voit esquisser une chorégraphie apparemment dans le seul but de divertir les maîtres de maison sont attestées par les auteurs anciens : ainsi Plutarque, que nous avons déjà ici rencontré, évoque-t-il la reine Cléopâtre VII goûtant au spectacle des siens en train de danser.

     Cela posé, les égyptologues ne parviennent pas encore à s'accorder sur le fait que ces petites bêtes furent ou non spécifiquement dressées pour monter à l'assaut de figues, dattes et autres fruits des arbres du verger, même si, dans la première vitrine de cette salle, nous avions jadis rencontré, parmi d'autres, un ostracon peint


SALLE 5 : VITRINE 3 : LES SINGES FAMILIERS - 2. ACTIVITÉS DOMESTIQUES


nous montrant un jeune homme nu, dresseur nubien reconnaissable à son crâne rasé, apparemment occupé à apprendre à un babouin qu'il tient en laisse la manière de grimper vers le sommet d'un palmier-dôm (Hyphaene Thebaica) : car il faut bien reconnaître que les artistes nous les montrèrent bien plus volontiers se repaissant goulûment de leur provende plutôt qu'à remplir une corbeille destinée à rejoindre les cuisines du domaine.

     Aussi bizarre que cela puisse paraître, alors qu'ils semblent tellement chez eux dans les propriétés des notables, les singes ne sont jamais représentés dans un contexte pharaonique - à tout le moins dans l'état actuel de la documentation existante -, à une exception près : la tombe d'un dignitaire de la XVIIIème dynastie, un certain Anen, chancelier de Basse-Egypte, prêtre d'Héliopolis et par ailleurs le propre frère de l'épouse d'Amenhotep III. Cet hypogée de Cheik abd el-Gournah, à l'ouest de Thèbes (TT 120), malheureusement très endommagé, recèle en effet la seule composition dans laquelle figure un singe à l'intérieur d'un palais : s'élançant d'on ne sait où, il se jette de manière très acrobatique sous le siège de la reine Tiy pour y rejoindre son chat préféré qui enlace une oie ...

Singe - Siège Tiy (TT120)- (MMA 38.8.8)

(Cliché que j'ai réalisé à partir du document référencé 38.8.8. sur le site du Metropolitan Museum of Art de New York (MMA), qui est en fait la reproduction de cette scène, peinte en 1931 par Nina de Garis Davies dans la tombe même d'Anen.)

     Les symboles génésiques alliés à ceux de la fertilité que constitue la présence de chats sous le siège d'une dame en Egypte antique ne sont, dans le chef de maints égyptologues, plus à démontrer : j'y ai suffisamment sur ce blog déjà fait allusion.

   Toutefois, si j'entérine les théories de l'égyptologue d'origine tchèque Jaromir Malek, l'on peut parfaitement attribuer aux singes - par ailleurs bien connus des Egyptiens anciens pour leurs prouesses sexuelles - exactement la même symbolique quand d'aventure l'artiste en représente évoluant sous le siège d'un homme ou d'une dame. En outre, et dans un ordre d'idée semblable, rappelez-vous ce que j'ai avancé concernant l'étui à kohol que nous avons découvert dans la vitrine 3 la semaine dernière et qui, à mon sens, peut parfaitement s'appliquer aux scènes que j'évoquais ci-avant concernant le petit animal secondant la servante occupée à la toilette d'une maîtresse de maison. Et, in fine, rapprocher toutes ces considérations de ce que, dans cet  ancien article de 2008 consacré à l'érotisme présent dans la poésié égyptienne du Nouvel Empire, j'avais indiqué concernant le port de la perruque ...

   A l'instar des chiens et des chats donc, c'est ce qu'aujourd'hui il m'agréait de vous démontrer amis lecteurs :  cynocéphales et cercopithèques figurèrent en très bonne place en tant que compagnons favoris des membres de la classe égyptienne dominante. 

(Barta : 2001, 155-8 ; Hickmann : 1956, 8 ; Malek : 2006, 59-61Vandier : 1964, 147-77 ; EAD. 1965,177-88 ; EAD. 1966, 143-201)


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