J'avais évoqué la dimension sociologique (démographique et économique) et donc sociale des premiers mouvements en Tunisie ou en Égypte. Or, ces mouvements ont fait tâche d'huile.
Mais il ne s'agit plus seulement d'un phénomène social, mais politique, avec des racines, ne l'oublions pas, géopolitiques. Les cas barheini, libyens ou yéménites en sont des exemples frappants.
1/ En effet, il y a tout d'abord un phénomène frappant de désinhibition : si Tunisiens et Égyptiens ont pu le faire, moi, arabe de (mettre le nom du pays), je peux aussi faire la révolution. Le "monde arabe " (cercle approximatif, j'en conviens) a trouvé une sortie à son sentiment d'humiliation (cf. Moïsi et sa géopolitique des émotions).
2/ Au-delà de ce facteur général, qui explique, par exemple, les mouvements au Maroc ou en Jordanie, il ne faut pas négliger des facteurs proprement géopolitiques, qui expliquent les cristallisations en cours :
- au Barhein, il y a incontestablement un clivage sunnite contre chiite
- au Yémen, un clivage Sud contre Nord, au terme d'une réunification bâclée et, qui sait, ratée
- en Libye, un clivage entre l'Ouest (Tripoli) et l'Est (Benghazi), qui remet en cause une structuration tribale devenue, au fil du temps, une sorte de kleptocratie (la tribu des Kadhafa étant comparée, localement, au Traboulsi tunisiens, c'est dire) : autant dire que si le colonel a aboli la monarchie, il n'a pas aboli son soubassement social, mais que celui-ci s'est érodé en quarante ans.
3/ Géopolitique, donc. Mais aussi, politique : l'extension des troubles à des contrées réputées stables le justifie aisément : le Maroc ou Djibouti sont frappants. Surtout, on commence à sentir que ça va déborder :
- en Chine, dont les premiers prolégomènes commencent à apparaître, ce que j'avais suggéré il y a plus d'un mois !
- en Afrique subsaharienne : Cameroun, Congo, Gabon.... vont eux aussi vouloir s'essayer à surmonter leur humiliation.
4/ Tous ces pays émergents (ou non, d'ailleurs, s'ils restent dans le "en voie de développement") veulent juste prouver que la tyrannie n'est pas aussi inévitable qu'on veut bien s'en contenter en Occident. L'émergence n'est pas seulement économique, on dirait.
5/ Contagion ? il faut désormais prendre comme hypothèse que ce mouvement ne s'arrêtera pas à ces régions émergentes, ou encore immergées : les troubles peuvent s'étendre au nord de la Méditerranée. La crise et la lassitude démocratique constituent autant de facteurs déclenchants qu'il serait bon de ne pas ignorer.
Dans géopolitique, il y a politique.
O. Kempf