« Au moment où le monde arabe se mobilise pour accéder à la démocratie, en Occident, plusieurs se demandent si elle existe encore. Le système de «représentation démocratique» par l'élection à intervalles réguliers est-il devenu une astuce commode permettant à une oligarchie politico-économique de mener le bon peuple par le bout du nez tout en augmentant son pouvoir et sa richesse? »
Par cette question, le journaliste du quotidien québécois « Le devoir » ouvre un intéressant article "Notre démocratie détournée ?" paru samedi 19 février sur une problématique qui devient chaque jour plus cruciale .
Extraits :
« (…) Plusieurs auteurs définissent aujourd'hui l'objectif de la démocratie non plus comme la recherche de l'intérêt général, mais plutôt comme la défense des
droits individuels, la justification des inégalités que la démocratie était aussi censée niveler.
Ce glissement se traduit par une désaffection envers l'État et la classe politique dont on craint, souvent intuitivement, la collusion avec les grands bonzes du
privé — la nouvelle oligarchie qui dicterait à l'État ses orientations au moyen des planques dorées réservées aux commis serviles par le jeu de ce qu'on appelle les «portes tournantes». Certains
politologues en sont venus à écrire qu'un bon politicien, c'est quelqu'un qui se demande jusqu'où il peut aller entre les élections au profit de ses bailleurs de fonds sans risquer d'être défait
au prochain test électoral.
(…) Pour Marcel Gauchet, dans La Démocratie d'une crise à l'autre (éditions Cécile Defaut, 2007), la «démocratie représentative» est historiquement victime de son succès contre les régimes totalitaires. Encouragée à se développer dans les années glorieuses, cette démocratie écrase aujourd'hui, écrit-il, sous le poids d'un pouvoir exécutif croissant. Mais la population, qui a bénéficié du développement de l'État-providence, n'a pas vu qu'aujourd'hui, on la détourne progressivement vers la défense des droits individuels, l'assise de la «méritocratie» qui justifierait la position dominante de la nouvelle oligarchie.
(…) Pour plusieurs politologues et philosophes, comme Jacques Rancière le précise dans la revue Philosophie (février 2011), «la démocratie comme idée du pouvoir de tous peut disparaître, sous une forme douce, se dissoudre dans ces oligarchies tempérées que nous connaissons en Occident. Beaucoup d'éléments sont réunis pour cela: la pression croissante du gouvernement économique mondial; la réduction de la scène politique au concours pour le choix du dirigeant suprême; la tendance à criminaliser les mouvements sociaux, à ramener grèves et manifestations à des rituels strictement réglés, et à rejeter toute contestation des formes dominantes du côté du sabotage et du terrorisme; le consensus intellectuel antidémocratique croissant».
(….) Un sondage publié dans Philosophie nous révèle qu'en France, 49 % des gens pensent qu'elle a reculé alors que 32 % disent qu'elle n'a ni progressé, ni reculé. Seulement 14 % ont le sentiment qu'elle a progressé. Si le citoyen se sent dépossédé de sa démocratie, c'est qu'il l'est, conclut l'analyse. Mais, surprise, le petit peuple ouvrier est plus progressiste que les technocrates en matière de défense de l'intérêt général. Ainsi, 78 % des ouvriers sont favorables au blocage de lois et projets dangereux pour l'environnement par un comité scientifique, contre 74 % des cadres; 78 % des employés seraient favorables à des comités populaires dans les localités, contre 67 % des commerçants et chefs d'entreprise. Enfin, 72 % des ouvriers sont pour l'instauration d'un salaire maximum, contre 44 % des cadres..."
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