Poésie du Samedi, 21 (nouvelle série)
Je retrouvai Olivier l’après-midi même où je dégotai un recueil de Robert Sabatier, moins connu comme poète malgré sa monumentale Histoire de la Poésie française que comme le romancier inspiré du cycle… d’Olivier (Allumettes suédoises, Noisettes sauvages, etc…). Coïncidence où je vis un signe de bon augure, d’autant plus que de terribles épreuves attendent bientôt mon pote Olivier. Un vrai parcours du combattant pour entrer dans une grande maison… Dans ce genre de situation, on ne sait pas vraiment ce qui nous attend… On ne sait pas comment se préparer, comment se caparaçonner ou de quel blindage se parer pour affronter le roulement des tests ou des questions. Quelle armure revêtir ? De quel métal ? Acier chromé, heaume et bouclier aux armes ? Blazer anglais et mocassins à glands ? Chapeau ou pas chapeau ?
Dans ce genre de circonstances, il s’agit aussi et surtout de se mettre à nu sans impudicité. « Be cool, be open », ai-je alors anglicisé à un Olivier stressé alors qu’il engloutissait un croque-monsieur en laissant refroidir son café. « J’ai pas eu le temps de manger à midi », s’excusa-t-il en mastiquant. « Très bien, tu as effectivement beaucoup mieux à faire à midi… », approuvais-je en sirotant mon thé car c’était la cinquième heure A.M. Entre deux rendez-vous, absorbé par ses soucis de citadin affamé, il ne répondit pas. Olivier ne savait plus trop à quel saint se vouer. Je lui ai conseillé Saint-Martin, le bon chevalier qui partageait son manteau… Mais Olivier était plutôt préoccupé par son chapeau. Faudrait-il entrer coiffé ou tenir à la main le galurin ?
Sans doute lui faudra-t-il se plier à l’usage et laisser en entrant pas mal de bricoles ou de bling-bling. Et même si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, il devra quand même laisser son armure et ses objets métalliques au vestiaire. Quand au chapeau, peut-être ressortira-t-il de l’épreuve transformé en casque, un peu comme les sandales d’Empédocle changées en bronze par le volcan ? « Be cool, be open », lui répétais-je. « Tiens, pour te détendre, je vais te lire un petit poème ». J’ouvris alors Les châteaux de millions d’années et, voyez un peu le hasard, je tombai sur…
Les Métaux
A l’orichalque, au métal des Atlantes
Je te dédie, ô corruptible chair.
Offre ta nuit première à cette amante
Tranchante et frêle : une lame de fer
Pour séparer en toi les eaux dormantes.
A l’étain mat, au chrome, au manganèse,
A l’iridium, au nickel, au cobalt,
Compare-toi, petite plaie, honnête
Petite plaie avec tes tendres lèvres,
Sang devenu le langage du mal.
Au lointain pâle, au mercure, à la rose,
Offre ton corps, inachevé, mortel,
Et gagne en jours ce que tu perds en choses,
Homme, petit homme devenu tel
Que son corps pur aux seuls métaux se donne.
Il marche encore, il chérit ses prisons
Et coule en lui tout le métal qu’il aime
Si passager dans sa lente fusion,
Miroir de bronze, et d’acier diadème.
Soudeur de mots, sais-tu souder les êtres
Et les dissoudre et les remodeler ?
Devenir or et vieil argent renaître,
Sais-tu mourir et, tel un minerai,
Couler parmi la pierre, ton ancêtre ?
Robert Sabatier (né en 1923), Les châteaux de millions d’années, Albin Michel, 1969.