Où est ma fée ?

Par Isabelledelyon

En tant que Maman, lorsque j'ai appris que j'avais un cancer, j'ai pensé en premier à mes proches et plus particulièrement à mes filles. Elles avaient alors 4 ans et 15 mois. Pour mon aînée, J. c'était plus facile de communiquer, elle parlait, elle pouvait mettre des mots sur ce qu'elle ressentait. Je pouvais la questionner. Mais pour ma plus jeune fille E., j'étais un peu perdue. J'étais certaine qu'elle comprenait bien plus que ne l'imaginais mais je n'étais pas certaine qu'elle saisisse le sens de ce que je tentais de lui expliquer.

Mes filles 4 ans et 15 mois,
le matin au réveil, mai 2006
alors que je débute les traitements

J'ai dû arrêter de l'allaiter brutalement, du jour au lendemain, bien malgré moi, à cause du cancer, à cause des traitements à venir. Je lui ai dit que j'étais malade, que je ne pouvais plus lui donner mon lait. Elle n'a pas réagi comme je m'y attendais. Elle n'a jamais réclamé. Elle a tout simplement mis une croix dessus. Elle qui me sautait dessus pour retrouver ce contact dès que je la récupérais chez sa nounou. Elle a bien dû comprendre que je n'avais pas le choix, que ça me rendait immensément triste.

J'ai essayé de prévenir la chute des cheveux. Je lui ai dit que je prenais un médicament qui allait faire tomber mes cheveux. J'ai essayé de faire passer le message que ce n'était pas grave, que c'était pour me soigner et qu'ils allaient repousser une fois que j'en aurais terminé avec ce traitement. Je me suis demandée ce qu'elle pouvait comprendre, si ça servait à quelque chose que je tente de la prévenir. J'ai toujours beaucoup parlé avec mes filles même bébés, j'estime que ce n'est pas parce qu'elles ne parlent pas, qu'elles ne comprennent pas, bien au contraire...

Et puis j'ai dû faire le deuil de mes cheveux. Je le raconte ici : Perruque ou foulard.

E. n'allait plus chez la nounou. Comme je n'étais pas certaine de passer l'année, comme le temps pouvait m'être compté, avec ces fichus métastases dans un organe vital, j'avais décidé que tout ce temps présent, je le consacrerai à mes filles. J'ai aussitôt donné son congé à la nounou. Je passais ainsi mes journées avec ma petite puce. J'allais tous les jours chercher mon autre fille J. à la pause déjeuner pour passer ce temps avec elle, auparavant c'était une baby-sitter qui la faisait déjeuner. Nous prenions ce repas toutes les trois ensemble, chez nous.

E. ne savait pas parler mais comme je m'en doutais, elle sentait bien qu'il se passait quelque chose de grave. La seule marque extérieure était cette chute de cheveux. A la maison, je me promenais crâne à l'air.
Elle a trouvé un moyen de communiquer sur mon cancer avec moi malgré la pauvreté de son vocabulaire.
A 15 mois, elle était en plein dans la période des livres à toucher. Vous savez ces livres avec des matières différentes, des plumes, des matières douces, des matières rugueuses que l'enfant touche et qui illustrent une histoire très simple.

J'ai toujours adoré acheter des livres à mes filles, je le fais régulièrement et je passe beaucoup de temps à choisir des livres qui vont leur plaire. Je venais d'offrir à E. un livre à toucher intitulé "Où est ma fée ?".

Dans ce livre, on cherche une fée en particulier et sur chacune des pages, il y a bien une fée, on peut toucher un élément de cette fée mais il ne correspond pas à celui de la fée recherchée, on arrive ainsi à la dernière page où on retrouve enfin la bonne fée.
Sur une page de ce livre, on doit toucher les cheveux de la fée, ils sont crépus, ce ne sont pas les cheveux de notre fée. Sur une autre page c'est la matière de ses ailes, sur une autre celle de la baguette magique etc...

Juste après que je me sois retrouvée chauve, et toujours lorsque nous n'étions que toutes les deux, E. me poursuivait partout en tenant, avec ses deux petites mains, son livre grand ouvert à la page des cheveux à toucher et elle voulait que je touche. Si je ne le faisais pas, elle prenait ma main, la posait sur les cheveux du livre et ensuite plantait son regard dans le mien et attendait. Elle attendait mon explication. Je l'avais bien compris et non pas au sujet des cheveux de la fée mais des miens disparus. Et à chaque fois, j'arrêtais ce que je faisais, je me mettais à sa hauteur, je touchais les cheveux, je la regardais moi aussi sans sourciller droit dans les yeux et je lui expliquais, je répétais et répétais inlassablement mon histoire, ma maladie avec les mots les plus simples, ceux que je pensais être à sa portée. J'essayais surtout de la rassurer, de dédramatiser cette situation qui n'avait rien de léger mais c'était une si petite fille, comment faire vivre des choses si lourdes à des enfants si jeunes? comment ne pas culpabiliser de leur imposer tant d'angoisses, tant de peur? comment essayer de les préserver?

J'ai tout fait pendant mes traitements pour qu'elles aient la vie la plus normale possible pour des enfants de leur âge. J'ai mis toute l'énergie qui me restait à m'occuper d'elles le mieux possible. Je les ai promenées dans des parcs, à la piscine, dans des lacs, au zoo. J'estimais que j'imposais assez de tourmente dans leur vie de petites filles sans en plus leur infliger ma fatigue. Je voulais qu'au moins ces moments passés ensembles soient les plus heureux ensembles, les plus normaux, les plus éloignés du cancer.

Elles ont été mes béquilles pendant toute cette traversée du désert. Elles m'ont forcé à oublier ce cancer pour penser à elles, à leur innocence, à leurs plaisirs enfantins. Elles m'ont donné une force insoupçonnée pour rester à leurs côtés., pour me lever le matin et me préparer, pour rester une maman souriante, vivante, présente.

J. m'a fait ce dessin du crocodile qui illustre si bien qu'elle aussi, à 4 ans, avait tout compris.
E. a 6 ans maintenant et dernièrement, elle a ressorti ce livre qui se trouve toujours sur les étagères de sa bibliothèque. Elle voulait que je le lui lise. elle a répété plusieurs soirs cette demande. J'en ai parlé avec elle. De temps en temps, elle ressort aussi le livre de Bénou qui raconte l'histoire d'une maman atteinte d'un cancer du sein avec des mots à la portée de jeunes enfants.

Je sais que je peux faire confiance à mes filles, qu'il n'est pas bon de tout leur dire, qu'elles n'ont pas à servir de déversoir pour recueillir toutes mes angoisses, mais qu'elles ont le droit de savoir. Par respect pour elles, je ne leur cacherai jamais l'essentiel. Je mettrai des mots sur ce qu'elles ressentent, elles qui me connaissent si bien et qui ont le don de sentir que ça ne va pas avant même que je l'exprime. De toute façon, n'avez-vous jamais remarqué que les enfants arrivent toujours à entendre ce que vous tentez de leur cacher même en fermant les portes ?

Ma fille E., été 2010.
4 ans sont passés, inestimables