Par Fabienne
Une thématique troublante est abordée jusqu’au 15 mai prochain à la Maison Rouge. L’exposition « Tous cannibales » explore l’anthropophagie sous ses dimensions plastiques et historiques…
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Voilà enfin l’article que j’espérais vous proposer le jour de la Saint Valentin… C’est un peu raté, je l’admets. Cette journée « consacrée » à l’amour était sans doute le meilleur moment pour parler de déviances telles que l’anthropophagie ! Comment en effet ne pas faire la liaison entre amour et… cannibalisme. Salvador Dali, lui même, prétendait que :
Le cannibalisme est une des manifestations les plus évidentes de la tendresse.
Ce que vous pourrez découvrir lors de cette exposition ne va surement pas éveiller chez vous de « pensée amoureuse », néanmoins la dimension érotique du sujet n’est pas totalement oubliée dans la scénographie… Le corps ingéré en tant qu’objet de désir sexuel ne fait pas « clairement » partie du parcours proposé par la Maison Rouge, le cannibalisme est présenté sous ses formes rituelles, sacrées et magiques.
Fascinante anthropophagie…
Claude Lévi-Strauss, cité en référence dans les présentations de l’exposition -son intitulé est également le titre d’un article publié par l’ethnologue en 1993 dans La Repubblica-, s’était très largement penché sur le sujet :
Nous sommes tous des cannibales. Après tout, le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger.
©Vik Muniz • Saturn devouring one of his Sons, d'après Goya, Série Pictures of Junk, 2005.
Profondément ancré dans les esprits et comportements… accouplement et cannibalisme comportent des similitudes avérées d’un point de vue ethnologique, bien que l’on puisse noter -avec le sourire- une très nette distinction : la relation cannibale, elle, ne pourra plus être renouvelée, l’incorporation de l’autre s’avère définitive et « irrécupérable ». Le vocabulaire et les expressions associées aux actes amoureux/affectueux ne laissent d’ailleurs que peu de doutes sur la pertinence de cet amalgame. Constitutif de nos sociétés, cette pratique n’est pas seulement l’apanage des « peuplades primitives », elle se renouvelle sous des formes transcendées mais très présentes : la messe dominicale, le monde du travail, les relations amoureuses, les récents succès de films de vampires (Une petite référence récente et facile : la série des Twilight)… L’idée « brute » de cannibalisme reste taboue mais est intégrée de façon subtile à nos quotidiens, suscitant toujours autant de fascination morbide. On se souviendra par exemple du « Cannibale japonais » (pour les curieux de plus de 12 ans, vous pouvez aller consulter une vidéo en trois partie en suivant ce lien) devenu célèbre pour son unique crime, étrangement cet homme n’a jamais été incarcéré, et les ouvrages autobiographiques qu’il a écrit ont connu un énorme succès…
Cette thématique trouve -malgré ce que l’on pourrait croire- de nombreuses résonances dans les pratiques plastiques contemporaines. Des pièces insensées, surprenantes, exploitant des techniques et des supports variés sont à découvrir à la Maison Rouge. Art contemporain et œuvres plus anciennes suivent un parcours et invitent à une relecture qui se veut aussi historique que plastique !
Mythes et réalités au passé…
L’oeuvre de Wim Delvoye, accompagne notre entrée dans l’exposition avec un Marble Floor : tapis rouge à base de charcuterie, finement travaillé…
Lucas Cranach L'ancien • Loup-Garou
Un premier espace dédié à la rencontre entre mythologies et réalités des sociétés primitives. Gravures anciennes d’abord puis photographies vont donner à voir pour les premières des scènes inspirées de l’iconographie chrétienne, le diable dévoreur d’hommes, les punitions corporelles infligées aux « pêcheurs », pour les suivantes des groupes d’hommes anthropophages… Traces de pratiques tribales et bien réelles.
Il vous sera même présenté plus loin dans la visite le parfait kit du petit cannibale : couvert et assiette… Entouré d’œuvres de Goya et de réalisations dans sa lignée plus récentes…
S’en suit une représentation de ce dont je vous parlais précédemment en évoquant Twilight : Une photo de « Vampire » par Pieter Hugo issue de sa série Nollywood… Bien qu’elle soit nettement moins « glamour » ici, le vampire véhicule toujours cette magnifique aura, romantique à souhait, il était normal d’en trouver une représentation…
À consommer sur place…
La visite se poursuit dans la première salle avec le choc d’une masse informe de chair : un corps échoué sans tête… Spectaculaire, monstrueux et criant de réalisme.
John Isaacs, The Matrix of amnesia, techniques mixtes 1998.
Suivit de la robe de chair de Jana Sterbak, conçue il y a déjà vingt ans de cela, elle a eu le mérite d’être remise au gout du jour dernièrement par l’excentrique chanteuse Lady Gaga. Sur un mur proche une œuvre très célèbre également -et que j’adore- Le Festin des fous de Joël Peter Witkin, photographie inspirée des natures mortes classiques, elle met en scène une vanité « trash » à base de morceaux de cadavres. On retrouvera également la célèbre recette du boudin à base de sang humain, des friandises et gâteaux ludiques, colorés et… composés de doigts.
Adriana Varejâo, Azulejaria branca em carne viva, 2002. Huile sur toile et polyuréthane montés sur aluminium et bois. Courtesy Fondation Cartier, Paris
Enfin autre œuvre impressionnante de cet espace, celle d’Adriana Varejâo, un mur carrelé qui s’éventre sur de grouillantes entrailles (ci-contre).
Vont suivre la scène d’orgie sanglante de Gilles Barbier, et son Emmental Head, la très déstabilisante vidéo d’auto-ingestion de Patty Chang…
On retrouvera plus tard un autre impressionnant personnage, un monstre de spaghettis Le solitaire celui de l’artiste Théo Mercier, beaucoup plus « avenant » d’un point de vue « consommable »…
Cannibalisme ritualisé.
Les œuvres vont se suivre et présenter successivement des versions détournées, révisées d’un cannibalisme en référence aux religions, iconoclaste et profane…
Une vidéo et des éléments de la performance de Michel Journiac : Messe pour un corps se voit cerné par de troublantes madones. L’amour que j’évoquais plus haut comme l’une des composantes de l’idée même de cannibalisme se manifeste ici dans la relation à la mère et au sein « nourricier ». Peu engageants… les allaitements proposés par Bettina Rheims et Cindy Sherman, sanglant pour la première et artificiel pour le seconde.
Je vais garder un peu de mystère et vous laisser découvrir pleinement cette exposition, voici une liste des artistes présentés et non mentionnés dans l’article : Makoto Aida, Pilar Albarracin, Michaël Borremans, Norbert Bisky, Jake & Dinos Chapman, Will Cotton, Erik Dietman, Marcel Dzama, James Ensor, Renato Garza Cervera, J. J. Grandville, Sandra Vasquez de la Horra, Melissa Ichiuji, Oda Jaune, Fernand Khnopff, Frédérique Loutz, Saverio Lucariello, Alberto Martini, Philippe Mayaux, Patrizio Di Massimo, Yasumasa Morimura, Vik Muniz, Wangechi Mutu, Álvaro Oyarzún, ChantalPetit, Giov.Battista Podesta, Odilon Redon, Félicien Rops, Toshio Saeki, Dana Schutz, Ralf Ziervogel, Jérôme Zonder.
Pour finir et parce que vous êtes sur place, poursuivez votre visite avec le Home of memory de Chiharu Shiota : magnifique et spectaculaire installation in situ réalisée à base de fils tissés.
Je ne vous dit pas tout et vous incite vivement à faire le déplacement pour aller juger par vous même cette superbe exposition, le sujet complexe qu’est l’anthropophagie y est abordé avec justesse.
N’hésitez pas à ajouter vos retours et impressions en commentaires !
Tous cannibales à La Maison Rouge
Du 12 février au 15 mai 2011
10 boulevard de la Bastille
75012 Paris
Pour les petits plus, Artpress, revue d’art contemporain a édité pour l’occasion un hors-série et si le sujet du « cannibalisme » vous intrigue, je vous invite à compléter cette lecture par le très complet article de Marc de Boni sur le blog de Slate. Enfin pour tous ceux qui ne pourraient pas se rendre à la Maison Rouge, il vous reste la possibilité d’en savoir plus en consultant le petit guide PDF de l’exposition.