Retour à Une anthologie de la poésie du Tout-monde, dernier livre d’Edouard Glissant publié de son vivant.
Certes, c’est une anthologie, un bouquet de textes dont il est dit, en préface, que « la totalité du Tout-monde est la quantité réalisée de toutes les différences du monde ». On peut la lire de cette manière un peu détachée et y trouver de l’abondance.
« La poésie semble donc bien devoir rester
le seul point de hauteur d’où (l’homme)
puisse encore, et pour la suprême consolation
de ses misères, contempler un horizon plus
clair, plus ouvert qui lui permette de ne pas
complètement désespérer. Jusqu’à nouvel
ordre – jusqu’au nouveau et peut-être définitif
désordre – c’est dans ce mot qu’il faut aller
chercher le sens que comportait autrefois celui
de liberté. »
On peut aussi – et les poèmes qui viennent clore le livre nous y invitent – lire cette anthologie comme un testament. Il n’est pas anodin que l’on trouve parmi les derniers écrits d’Edouard Glissant des textes à plusieurs mains. Et ce dernier recueil est aussi à plusieurs voix, celles qui ont accompagné l’homme au long de sa vie. « Je vous fusionne, à présent, mes chants ». Il fait sien ce vers d’Adonis. Et ne laisse en partant aucune autre injonction que de nous inviter à vivre en tournant le regard non vers un passé qu’il faudrait embaumer, mais vers demain. « Ce que je suis est dérivé, sans fatalisme aucun, de ce que je serai. Le poème lui aussi est toujours à venir. »Il cite des auteurs nombreux, sans notion d’origine géographique (puisqu’il n’y a qu’une terre), parfois dans la langue où ils ont été publiés, souvent en français contemporain ou traduits. Ainsi du premier texte de cette anthologie, Strange fruit, une ballade des pendus de l’Amérique sudiste que vous pouvez écouter interprétée par Billie Holiday.
Cependant, le dernier poème n’est pas traduit. Il vient de la Mer des Caraïbes, de Jamaïque, de l’archipel, et vous pouvez l’écouter interprété par son auteur, Michael Smith. Cette géographie déplace le centre de gravité du monde, renverse les notions dominantes, « mon lieu inlassablement conjoint à d’autres ».Et je pense aussi à un tout autre livre, déjà cité dans ce blog, Mort d'un jardinier, de Lucien Suel, dans lequel le jardinier, au moment de mourir, voit ses amis, les auteurs qu'il a aimés, venir à lui, tenant leur enfance par la main.